09 - Mère Thérèse dans son humanité

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Le bon Dieu, me dit-elle, laisse souvent aux saints des défauts extérieurs[1].

Une fois [le Père Terme] écrivit aux Sœurs d’Aps : “Je suis en mission avec un Révérend Père qui est un second saint Régis. Je m’aperçois cependant que les saints ne sont pas sans défauts et le bon Dieu permet qu’ils fassent quelquefois souffrir les autres. Remarquez, mes Sœurs, que dans les vies des saints on ne parle que de leurs vertus, et leurs défauts sont passés sous silence. Allons, courage ! Il faut que les nôtres soient des moyens qui nous aident à nous sanctifier et à devenir de grands saints”[2].

En lisant la vie des saints, on peut avoir la tentation de les idéaliser et oublier qu’eux aussi avaient des défauts, mais aussi qu’ils étaient tout simplement humains : ils riaient, s’impatientaient, s’emportaient…

Toutes ses contemporaines se sont accordées pour décrire le sérieux et le recueillement de Mère Thérèse. Mais il est aussi bon de la voir sous un jour plus humain qui nous la rende plus proche. Si elle était comme nous, si son chemin vers la perfection a été le travail de toute une vie sur sa nature, alors la sainteté est possible pour nous aussi.

Ce mois-ci, c’est donc l’humanité de Mère Thérèse que nous voulons souligner à travers quelques témoignages.

Un caractère de “bourru bienfaisant” qu’il lui a fallu dompter

La Mère Thérèse était extrêmement franche. Elle tenait de notre catholique Ardèche, son pays, l’horreur des déguisements, des finesses. J’ai entendu dire par la Révérende Mère Bertier, Supérieure de la maison de Fourvière, que Mère Thérèse avait dans sa manière d’être ce qu’elle nommait « bourru bienfaisant » et que cette faiblesse lui donnait de nombreuses occasions de s’humilier. J’ai compris que cela signifiait qu’en voulant faire un acte bon, elle y mettait une forme rude. […]

Il fallait une force héroïque pour contenir à ce point sa nature, pour rester toujours silencieuse à ce point sans jamais manifester ni plainte, ni aucune sorte de récriminations ni de critiques [...]. Elle se surveillait dans toutes ses relations avec toutes les sœurs, avec le cœur de mère qui lui était resté et qui n’était pas employé. Je suis persuadée qu’il lui fallait une surveillance de tous les instants et une énergie extraordinaire pour ne pas prendre le rôle de mère. Je constatais en outre sa force dans cette tenue mortifiée, permanente à l’église, et dans mes rapports avec elle, je n’ai jamais vu un moment de nonchalance[3].

L’assiduité au travail à l’aiguille qu’on a toujours remarqué en elle, cette espèce, je ne dirais pas d’indifférence, mais de désaffectionnement de ce qui se passait autour d’elle a dû lui coûter beaucoup, être l’effet d’efforts continus car la Mère Thérèse avait une nature vive, ardente et active. Sa démarche lente presque compassée était le fruit d’une volonté énergique. Elle ne pardonnait guère aux jeunes religieuses de marcher vite, bruyamment. “C’est ça, disait-elle, faites sauter votre voile sur vos épaules”. Ou bien : “c’est joli à une religieuse d’avoir l’air évaporé des gens du monde”.

 […] Lorsque je l’ai connue, son jugement était sévère ; elle ne faisait pas la part de l’âge, du caractère, des difficultés. Peu à peu, Dieu entrant plus avant dans son âme, la Mère prit quelque chose de la mansuétude de Notre-Seigneur ; elle devint compatissante. […] Sous une écorce rude la vénérée Mère cachait un cœur d’or. C’était – qu’on me pardonne la comparaison – un bourru bienfaisant, toujours prête à rendre service, à soulager, à servir celles qui étaient malades, à consoler celles qui étaient malades, à consoler celles qui avaient de la peine[4].

La Mère Thérèse avait conservée jusque dans les dernières années de sa vie une certaine brusquerie extérieure qui n’enlevait rien à la bonté et à la délicatesse de son cœur, et n’était que dans la forme ; cependant une de ses anciennes compagnes des premiers jours, qui avait son franc parler avec elle, lui en ayant fait la remarque, on la vit, à l’âge d’environ 75 ans, se transformer complètement sous ce rapport, et devenir d’une mansuétude et d’une condescendance qui faisaient notre admiration et nous prouvaient, qu’à tout âge, on peut se corriger, même des plus légères imperfections[5].

Le désir de s’améliorer

Ces défauts extérieurs, qu’il est bon de ne pas négliger à raison de l’édification, peuvent cependant se corriger facilement, avec un peu de bonne volonté, de vigilance sur soi-même et surtout avec un peu d’attention à la présence de Dieu, sous les yeux duquel nous travaillons toujours[6].

Je vais donc demain matin rentrer en communauté. Dieu veuille que j’aie laissé dans cette solitude tous les défauts qui étaient auparavant pour mes Supérieures et pour mes sœurs un exercice de patience, je le désire et je demande à Notre-Seigneur de m’en faire la grâce et d’être à l’avenir ma force et ma lumière. Veuillez aussi, ma Mère, le demander pour votre pauvre enfant[7].

Après la mort de la Mère Payan, tout le monde lui faisait des neuvaines. La Mère Thérèse dit un jour : “J’ai fait aussi une neuvaine, je ne sais pas si j’ai réussi ; j’ai demandé à être aimable, je ne sais pas si on s’en aperçoit”, et elle riait. Elle craignait de n’être pas assez aimable pour la communauté[8].

On avait fait en récréation une remarque qu’elle regrettait : “Le bon Dieu, me dit-elle, laisse souvent aux saints des défauts extérieurs” et elle me raconta un trait édifiant de la personne dont on avait parlé. / Il faut, disait-elle, passer à travers toutes les infirmités, les choses souvent peu édifiantes. Il faut passer au travers et aller, soi, toujours droit à Dieu[9].

Une lecture inspirante pour Mère Thérèse : le P. Claude-Francois Milley SJ

 « Il faut travailler à venir à bout de réprimer ces saillies extérieures qui se marquent par l’impatience, la mauvaise humeur, des paroles aigres, un air mécontent ; et en attendant que cela se fasse, ne vous découragez pas, ce n’est point vous seule qui le ferez, c’est Dieu avec vous : Il sait bien que vous n’êtes capable de rien de bon de votre fond, et vous seriez fort à plaindre si vous ne le saviez pas vous-même. Rien ne vous doit tant consoler que l’humble vue de vos faiblesses : elles vous font sentir que Dieu seul est Saint, seul Bon, seul Puissant, seul Parfait, et que ce n’est que sur Lui qu’il faut compter, puisque tout le reste est misérable. Voilà le fruit qu’il faut tirer de nos misères et de nos faiblesses. » (Lettre 25)

Fragments de quelques lettres choisies du R.P. Claude-François Milley, de la Compagnie de Jésus, Poissy, Olivier-Fulgence, 1845.

Livre ayant appartenu à Mère Thérèse et dont « elle faisait ses délices ».

D’une personne qui a vécu dans l’intimité de Mère Thérèse :

[Elle] me disait un jour sur le sujet de l’abandon que “les lettres du P. Millet, si je me souviens bien, sont ceux que je préfère”. Elle fut amenée à me le dire parce qu’un jour elle m’apporta ce tout petit livre et me le donna comme “une petite consolation”. Cette sainte Mère qui sentait le besoin que j’avais de cette vertu avait pris le moyen de ce petit cadeau, l’unique qui me soit venu d’elle, pour me travailler sur ce sujet

(manuscrit d’Anne Marie Desgrands OPSCJ, « Notes concernant la mémoire de la Révérende Mère Victoire Thérèse Couderc. Travail écrit sur la demande du Postulateur de la Cause de la R. Mère Thérèse Couderc avant toutes dépositions », Fourvière, mars-juin 1920).

Impatience et exaspération

Un autre jour, étant au parloir avec un de ses neveux prêtres – je travaillais là tout près du parloir au moment du départ en lui faisant ses adieux, le neveu lui dit : Ma tante, je voudrais bien vous demander quelque chose. Me permettez-vous de me l’accorder. – Quel que soit [ce que vous voulez], si je le peux, je veux bien [mais] il faut d’abord savoir ce que c’est. – C’est votre portrait. – Taisez-vous ! Regardez plutôt l’image de Notre-Seigneur, ça vaudra bien mieux que toutes les bêtises, et puis ces choses-là ne dépendent pas de moi, il faut la permission des Supérieures. Ce n’est pas nécessaire – Ma tante, moi je me charge de la leur demander si vous y consentez. Elles ne me la refuseront pas. – Ce n’est pas la peine d’importuner des Supérieures pour des bêtises[10].

La même humilité ne manquait aucune occasion de se signaler. Notre Très Révérende Mère Générale revenant de Rome dit à la Mère Thérèse : Nous avons vu le Saint Père et lui avons parlé de vous – Oh ! fit la Mère Thérèse avec geste et air de mépris, c’était vraiment bien intéressant de lui parler de ça ![11]

Elle n’a plus l’air de savoir qu’elle est notre fondatrice et la première religieuse de la Retraite, et elle vous dit avec le plus grand sérieux : “Quelle charité dans cette maison de supporter une personne comme moi ! Je ne fais rien et je donne de la peine à tout le monde ; je ne comprends pas qu’on me garde !” Et un jour que je lui répondais “mais, ma chère Mère, ce que vous êtes… vous êtes tout pour nous puisque sans vous nous ne serions pas ici !”… Elle me regarda puis me tourna le dos en haussant les épaules avec un air de vraie pitié pour ma bêtise[12].

Cette bonne Mère ne comprenait rien au laisser-aller moderne ; les modes actuelles l’indignaient. Une fois, elle fut tout à fait choquée des robes courtes d’une petite fille qu’on avait amenée en récréation et lui fit même une réprimande assez verte, si bien que pour satisfaire la Mère Thérèse, jusqu’à la fin de la récréation, on couvrit les jambes de la petite fille avec un mouchoir[13].

Son attitude pendant la prière et devant le Saint Sacrement était une exhortation muette ; le moindre défaut de respect ou de recueillement à la chapelle lui paraissait impardonnable. Une fois, pendant les vêpres, un fou-rire prit aux novices et la psalmodie en fut interrompue. Je vois d’ici l’air saintement indigné de la Mère Thérèse quittant sa place et venant administrer aux coupables une correction de fait (des coups de livre d’Office) qui redouble leur hilarité… Peu de jours après, il y eut récidive, hélas ! et cette fois la contagion gagna la grave Mère elle-même qui rit ensuite de bon cœur de sa petite humiliation[14].

Elle ne se pardonne pas ses impatiences

Jamais elle ne demandait rien et ne se plaignait de rien, ou, si parfois elle avait laissé voir une inclination naturelle, elle ne se la pardonnait pas. Une fois (j’étais seconde lingère) j’apportais dans sa chambre avec son paquet du samedi une flanelle qu’on avait rallongée avec une grande bande neuve. Mère Thérèse fut contrariée. Trouvait-elle que c’était une prodigalité ? “À quoi bon, me dit-elle ? C’est un manteau maintenant aussi bien qu’une flanelle”. J’emportai la flanelle. Le lundi, quand je revins chercher ses affaires : “Chère Sœur, me dit-elle, voulez-vous me rendre cette flanelle, je la porterai bien ainsi”.

Que de fois, dans les rapports de communauté, nous l’avons vue se reprocher avec une humilité touchante de petits mouvements de nature à peine perceptibles aux autres et qui laissaient voir jusqu’à la fin la trempe et la verdeur de son âme[15].

On l’a vu pendant des années se constituer la gardienne fidèle de la Mère Payan, la servir avec le dévouement le plus maternel. Cette pauvre malade, qui à certains moments n’avait pas bien conscience de ce qu’elle faisait, s’était attiré une observation de Mère Thérèse dont elle n’avait pas saisi la valeur – elle l’avait grondé pour avoir fait grand bruit pendant la Bénédiction. Le soir, on trouva cette dernière Mère à genoux auprès de la table de la chère malade à laquelle elle faisait prendre son repas. Comme on lui en témoignait de l’étonnement et qu’on la pressait de s’asseoir : “Non, répondit-elle, j’ai fait une réprimande sévère à la Mère Payan, comme si elle était coupable du fait que je lui reprochais, tandis qu’elle en est inconsciente. En cela j’ai manqué de patience et de respect en la reprenant trop vivement, et j’ai voulu m’en punir en me mettant à genoux pour la faire manger afin de réparer ma faute”[16].

Elle appréciait très sévèrement ses moindres manquements, comme sa vivacité de paroles, et certaines réflexions justes mais un peu sévères pendant les récréations. Une fois qu’en récréation elle avait cru faire un peu sévèrement une remarque sur la communauté, je la trouvai ensuite baignée de larmes dans sa chambre et sanglotant tellement qu’elle ne pouvait répondre à mes questions ; enfin, elle s’accusa amèrement et me dit que son manque de charité était d’un si mauvais exemple qu’elle pensait qu’il serait mieux de ne plus se montrer aux récréations ! Et, réellement, le manquement n’avait été remarqué par personne[17].

Éviter les marques de distinction par tous les moyens

Lorsqu’on lui écrit, on la fait souffrir ; lui souhaiter sa fête est un exercice de finesse dans lequel la sainte Mère a toujours le dessus ; et lorsque l’heure est passée de la chose manquée, elle vous regarde avec un bon sourire malin qui a l’air de dire : vous êtes vaincues et j’ai la paix jusqu’à l’année prochaine ![18]

Pour lui souhaiter sa fête, il fallait user de supercherie ; et encore n’y arrivait-on pas toujours. Une année, la veille de Ste Thérèse, se méfiant de ce qui allait arriver, elle entreprit aussitôt après le souper un de ses longs chemins de croix. La Révérende Mère de Gaudin, ne la voyant plus sortir de la chapelle, envoya une de nous la chercher. “Dites à Notre Mère, répondit Mère Thérèse, que j’irai lui parler demain matin”, et elle continua ses stations. On n’aurait pu insister sans la peiner. La récréation se passa et, quand nous fûmes toutes entrées au chœur pour l’office du soir, Mère Thérèse en sortit gravement sentant que le danger était conjuré. Chaque année, le courrier de Ste Thérèse portait ombrage à son humilité : “Pourquoi fait-on cela ? disait-elle à la Révérende Mère de Gaudin. Je ne suis pas Supérieure. Remerciez bien ces bonnes Mères, mais dites-leur qu’elles ne prennent pas la peine de m’écrire ; elles ont bien assez à faire”[19].

« Pointes malicieuses » : humour et bons mots

J’ai été son infirmière pendant huit jours à un moment où elle avait la grippe. Jamais peut-être je n’ai passé un aussi beau temps. Elle était si facile à soigner, toujours contente. Et puis, avec son air de gravité, elle trouvait toujours une parole pour me faire rire[20].

En général, et même en récréation, la Mère Thérèse parlait peu. Mais à l’occasion elle lançait une petite pointe de malice qui donnait à comprendre que malgré son recueillement habituel elle prenait part à la récréation[21].

En récréation, sa gravité n’était pas exempte de petites pointes de malice ; elle avait le don de peindre en un mot les choses et les personnes et elle accompagnait sa phrase d’un sourire plein de finesse[22].

Un jour, les novices portant du linge descendaient avec bruit les escaliers. La Mère Thérèse sortant de sa chambre regarde étonnée : “Ah ! pardon, je croyais que c’était un régiment de soldats !” et du geste elle tempérait l’ardeur trop bruyante de cette jeunesse. La Mère Thérèse ne manquait pas d’apporter sa part de gaîté et d’esprit aux récréations, avec les Mères aussi. À l’arrivée de Sœur Madeleine, un Jésuite confessait la Communauté chaque semaine et un prêtre séculier pour les quatre-temps. Très peu après, la Supérieure soumit à Monseigneur ce fait et l’ordre fut changé. Un autre prêtre séculier fut désigné pour la confession hebdomadaire et un Jésuite pour les quatre-temps. La Mère Payan regretta le changement du 1er prêtre séculier, et une fois qu’il vint faire visite à la maison et s’arrêtait à la chapelle elle voulut se confesser, mais pour ne pas le faire seule, elle poussa la Mère Thérèse sa voisine dans le confessionnal. Et, à la récréation, la Mère Thérèse, très liée avec la Mère Payan, fit de ce trait la joie de toutes, mimant les gestes et actions de la Mère Payan. (N’est-ce point dans ce fait de la Mère Thérèse qui ne tenait nullement ce jour-là à se confesser à ce prêtre, une délicatesse de la charité envers la Mère Payan)[23].

Bonne et indulgente pour la jeunesse, elle est notre joie par ses petites pointes malicieuses qui viennent de temps en temps animer nos récréations. Il faut le dire, nous sommes bien quelquefois un peu bruyantes ; [quand] on a gardé le silence pendant plusieurs heures, il y a un moment de détente nécessaire... l’autre jour, [Soeur] de Krenznach, dans une ardeur un peu intempestive, se précipite sur les chauffe-pieds, et pif paf les retourne sens dessus dessous et avec les bons éclats de rire que vous connaissez. Mère Thérèse arrivait par derrière, se possédant dans le Seigneur, et se met incontinent en devoir de recouvrir le brasier ardent, prenant la pelle des mains de la pauvre sœur toute contrite, et laissant échapper cette douloureuse exclamation : "Oh ! que vous êtes tapageuse !" "C’est vrai, ma Mère, et je suis bien sûre que vous ne m’aimez pas quand je fais du tapage ?" Et comme si la Sainte Mère regrettait sa repartie un peu vive, elle se redresse, la regarde, avec une grande bonté et un fin sourire : "Oh ! Vous, je vous aime toujours, ce que je n’aime pas, c’est votre tapage." N’est-ce pas ravissant ?[24]

Dans un grand besoin public, il fut ordonné dans le diocèse de Lyon de chanter les Litanies des saints ; ce qui fut exécuté au Salut par quelques religieuses du chœur de chant ; c’était très pauvre et Mère Thérèse en fit la remarque à la récréation avec son franc-parler ordinaire : “On aurait dit que vous vouliez enterrer la patrie !”

Le jour suivant (c’était peut-être le dimanche suivant) on y pourvut en faisant monter à la tribune tout ce qui pouvait donner un peu de voix. Ce fut beaucoup mieux et je crois que notre sainte Mère fut satisfaite, car on lui reprochait peut-être à tort de ne pas aimer la musique. […] Ce qui précède s’est passé vers l’année 1873[25].

Notre vénérée Mère Thérèse ne voulait pas d’exagération dans les paroles, même dans l’expression des meilleurs sentiments. […] La Mère de Lafarge a dit : Seigneur, ôtez-moi tout mais donnez-moi des âmes ! – Eh ! que donnerez-vous aux âmes si Dieu vous ôte tout ?[26]

Elle se montrait indulgente pour nos allées et venues autour d’elle dans la salle de communauté où elle remarquait tout. Je me souviens qu’une fois, à la récréation, elle se mit à contrefaire les airs trop affairés d’une des nôtres, essuyant les bureaux, dont en effet les agissements étaient plutôt ceux d’une chambrière que d’une religieuse. La leçon fut comprise, car elle avait mis toutes les rieuses de son côté… ces allures vives, confinant au grotesque, ne lui ressemblant guère !

[Elle se montrait indulgente] sauf quand la musique la fatiguait par trop ; [alors] elle faisait ses remarques. Ainsi, dans le cantique de l’Ascension, dont les reprises sans cesse répétées – “Quand m’appellerez-vous… au céleste séjour” – la faisaient sortir de son calme habituel. Ce « Quand m’appellerez-vous » l’agaçait par trop, paraît-il. – “Et appelez-moi quand vous voudrez, Seigneur”, [disait-elle] en souriant finement, ne voyant nullement la nécessité de la répétition de cette phrase musicale. C’était donc un exercice bien méritoire pour elle que la musique, qu’elle ne goûtait pas volontiers, à la chapelle du moins, qui troublait ses saintes prières et sa voie passive de contemplative… pauvre Mère ! on l’a bien fait souffrir ! car nous étions alors toutes musiciennes et un peu tapageuses ; et suivant le degré des Fêtes, plus elles étaient solennelles et plus bruyantes elles étaient. […] De même que St Ignace, qui n’aimait pas les superlatifs, toute exagération était relevée par elle, sans pitié ! Voir la lettre ci-jointe où je lui marquais être crucifiée, jadis, comme N.S., puis comme St André et enfin comme St Pierre, la tête en bas, les pieds en l’air, dans notre Touraine ; c’est-à-dire au rebours du sens commun. L’ironie perce bien un peu dans ses lignes. Elle nous voulait des saintes, voilà tout…[27]

Voici l’extrait de la lettre dont il est question :

Maintenant permettez-moi de vous dire, chère Sœur, que vous auriez fait une bonne Sœur quêteuse dans un ordre mendiant, ou bien encore un Saint Jérémie. Sollicitations et lamentations, sont le contenu de vos bonnes et chères lettres ; je prends une bien grande part à toutes vos peines et à tous les martyres que vous me dites avoir déjà soufferts. Vous n’êtes cependant pas bien à plaindre, à mon avis, car ces trois martyres ont dû nécessairement vous enrichir de trois palmes et de trois couronnes qui ne sont pas à dédaigner. Mais prenez garde, j’ai de la peine à croire qu’ils aient été aussi douloureux que ceux des saints personnages auxquels vous osez vous comparer : Saint Pierre, Saint André et leur bon Maître qui est aussi le nôtre ; ils n’en ont pas été quittes à si bon marché, puisqu’il leur en a coûté la vie, et qu’à notre grande satisfaction, vous survivez à vos tortures. Que Dieu en soit béni et qu’il daigne nous faire la grâce à toutes de bien profiter des petites piqûres d’épingles qui se rencontrent sur notre route, en attendant que nous soyons dignes de porter de plus grands coups[28].

Amour des animaux et recueillement

Sa bonté s’étendait même aux animaux. Un jour, dehors, les poules font un tel bruit, qu’on a peine à s’entendre. Elle envoie Sœur Philomène voir ce qui manque. “Oh ! Ma Mère, ce n’est rien, elles sont quatre ou cinq à attendre pour pondre, il n’y a qu’un nid et c’est à qui passera la première, voilà toute la cause du tapage” - “Mais ma sœur, faites donc un nid à chacune !” Souvent elle-même la sainte Mère cueillait de l’herbe, ramassait des débris pour la nourriture de ces petites créatures du bon Dieu et les leur jetait pour les faire taire[29].

Un rossignol avait élu domicile sur un arbre du jardin, assez rapproché de la chapelle ; et là il s’évertuait à moduler ses accords précisément chaque matin à l’heure de la méditation. Un jour, pendant la récréation, nous parlions des chants de cet oiseau, et l’une de nous disait qu’ils la mettaient en dévotion. "Pour moi, reprit la Mère Thérèse, j’ai bien peur qu’en voulant écouter le rossignol, nous n’entendions plus le bon Dieu". Le lendemain matin le rossignol avait fui, et plus jamais nous ne l’entendîmes à cette heure-là. Ma Mère, lui dit une jeune religieuse, bien sûr vous lui avez recommandé de s’en aller ? Et la sainte Mère se contenta de sourire sans ajouter un seul mot[30].

Elle avait un grand amour pour le silence, le recueillement, cherchant la solitude, seule avec Dieu seul, ennemie du bruit et des compagnies ; je crois qu’elle ne perdait pas un instant la présence de Dieu[31].

 


[1] « Souvenirs de la Mère Thérèse recueillis par la Mère d’Esparbès dans un voyage à Lyon et à La Louvesc avec Notre Très Révérende Mère Marie Aimée Lautier », juin 1881, déposé au procès le 24 août 1929.

[2] « Notes sur la Congrégation » par Mère Grégoire, in Nos origines, p. 57.

[3] Marie Desgrands, procès ordinaire, Lyon (1920).

[4] Mère Caroline de St-Privat, « Notes sur Notre vénérée Mère Thérèse ».

[5] Mère Gabrielle Neveud, Souvenirs écrits, 23 oct. 1911.

[6] Lettre à Madame Stéphanie du Plessis, professe temporaire, 18 mai 1880.

[7] Lettre à Notre Mère de Larochenégly à Paris, de Montpelier, 13 février 1864.

[8] Sœur Rüffinier, procès diocésain de Malines, 1920.

[9] « Souvenirs de la Mère Thérèse recueillis par la Mère d’Esparbès dans un voyage à Lyon et à La Louvesc avec Notre Très Révérende Mère Marie Aimée Lautier », juin 1881, déposé au procès le 24 août 1929.

[10] Sr Philiberte, Souvenirs écrits.

[11] Souvenirs dact. de Sr Madeleine, mai 1926.

[12] Souvenirs de Mère Marie Hallez, de Turin, 3 août 1883.

[13] Mère Marie de Vaines, procès diocésain de Malines, 1920.

[14] Mère Gabrielle de La Chapelle, « Souvenirs de la Mère Thérèse », Paray-le-Monial, 1887 ; Mère G. de La Chapelle n’a vécu avec Mère Thérèse qu’au début de son noviciat à Paris, rue du Regard, où elle est entrée en octobre 1855.

[15] Mère Marie de Vaines, procès diocésain de Malines, 1920.

[16] Mère Victorine de Gaudin, « Souvenirs sur notre vénérée Mère Thérèse », produits au procès à Lyon le 17 mars 1922.

[17] Souvenirs de Mère Marie Hallez (de Turin, 3 août 1883, et de Milan, samedi saint 1887) ; elle a vécu avec elle à Lyon de fin 1878 à fin 1882. Avec ajout du ms. d’Anne Marie Desgrands OPSCJ, « Notes concernant la mémoire de la Révérende Mère Victoire Thérèse Couderc », 1920.

[18] Souvenirs de Mère Marie Hallez, de Turin, 3 août 1883.

[19] Mère Marie de Vaines, procès diocésain de Malines, 1920.

[20] Souvenirs de la Sœur Philomène, avril 1887.

[21] “Relation de la Sœur Mélanie Desruol”.

[22] Mère Marie de Vaines, procès diocésain de Malines, 1920.

[23] Souvenirs dact. de Sr Madeleine, mai 1926.

[24] Lettre de la Mère Amélie du Pavillon à la Mère d’Esparbès, supérieure à Paris, 28 novembre 1879. Document produit par Mère Irène Maranzana, archiviste, au procès apostolique de Lyon (1929).

[25] Souvenirs écrits de Mère Geneviève Faure.

[26] Mère Faure, Souvenirs écrits.

[27] Mère Césarine de Ferrari, notes sur la Mère Thérèse produites au procès à Lyon le 17 mars 1922 (elle a vécu avec elle 7 ans à Lyon).

[28] Lettre à la Mère Césarine de Ferrari à Tours, Lyon, 28 décembre 1869.

[29] Sœur Rüffinier, procès de Malines, 1920, et Souvenirs dact. de Sr Madeleine, mai 1926.

[30] « Notes sur notre vénérée Mère Thérèse » de la Mère Emilie de Roatis. Document produit par Mère Irène Maranzana au procès apostolique de Lyon (1929).

[31] Sr Philiberte, Souvenirs écrits.

 

DIAPORAMA

Extraits d’une « Histoire de sainte Thérèse Couderc racontée aux enfants » illustrée de collages