07 - La vie religieuse selon Mère Thérèse

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J’avais interrompu ma lettre hier pour assister à une conférence du Père Payan qui nous a très bien parlé de l’excellence de la vie religieuse et de l’estime que nous devons en faire. On aime toujours à entendre traiter ce sujet[1].

La beauté de la vocation religieuse

Le jour de ma prise d’habit, [elle me dit] : « Je crois que vous ne regretterez pas ce que vous avez quitté »[2].

Le 15 octobre 1880, elle dit à une jeune aspirante : “On m’a demandé quelle jouissance je pouvais trouver à passer ma vie entre quatre murs ? Une si grande que toute l’éternité ne me parait pas trop longue pour en remercier le bon Dieu. Je Lui dis souvent : Mon Dieu je ne sais pas assez Vous remercier, mais si Vous voulez bien me mettre dans Votre Paradis, je vous remercierai pendant toute l’éternité”[3].

Quand elle faisait la lecture aux Sœurs, ou qu’elle nous gardait à la petite récréation, elle nous disait : “mes bonnes sœurs, estimez beaucoup votre vocation. Elle est bien belle. Le bon Dieu vous a fait une large part en vous appelant à son service. Aussi, il Le faut servir avec un cœur bien dégagé et bien oublieuses de vous-mêmes”[4].

Notre Père Rigaud vient nous faire une instruction par semaine, sur l’excellence de notre Ste vocation, je regrette bien ma bonne sœur que vous et toutes nos sœurs n’y soient pas ; je vous assure qu’il nous fait bien apprécier le bonheur de la vie religieuse ; et le titre glorieux de pouvoir se dire les épouses de Jésus[5].

On avait lu la vie de Ste Elisabeth de Hongrie ; la Mère Thérèse, les mains jointes, avec un air si souriant, si gracieux, a dit : « Cette sainte aimait bien son mari, mais j’aime encore plus le mien »[6].

La vie religieuse : une source de grâce

Quand il ne m’aurait pas fait d’autre grâce que de m’appeler à la vie religieuse et de m’en faire goûter les douceurs ne serait-ce pas assez, puisque la vie religieuse en elle-même est une chaîne de grâces non interrompue qui nous conduirait bien vite à la perfection si on y était fidèle[7].

Dans peu de jours nous allons encore avoir notre triduum pour la rénovation des vœux, nouvelle grâce dont il faudrait profiter. Les grâces, elles pleuvent sur les âmes religieuses, quand on y pense sérieusement et que l’on se voit avec cela si misérable on en est effrayé et on est obligé de se dire : Dieu est bon, oui, il est plus que bon, il est la bonté, je ne veux pas l’oublier[8].

Courage donc, bien chère Sœur, la vie religieuse est une si grande grâce qu’elle mérite bien d’être achetée au prix de quelques sacrifices, quoique coûteux à la pauvre nature[9].

Devrions-nous pour cela cesser de remercier le Bon Dieu ; et les religieuses n’y sont-elles pas plus obligées que les autres, elles qui sont comblées de tant de grâces et de tant de faveurs de la part de Dieu que leur vie devrait être une action de grâces continuelle[10].

Le bonheur de la vie religieuse

Ce sont de ces fêtes de famille auxquelles on aime à s’associer quoique de loin ; quand on connaît et que l’on goûte le bonheur de la vie religieuse, on éprouve une vraie jouissance de voir qu’il y a des âmes qui ont compris aussi que Dieu est tout et que le reste n’est rien[11].

Votre lettre est venue me surprendre bien agréablement, car j’ignorais que j’avais un neveu frère Mariste, j’en ai remercié le bon Dieu, et je serais heureuse d’apprendre que tous vos frères ont pris le même parti, car quand on a goûté du bonheur de la vie religieuse, on voudrait le faire partager à tous ceux qui nous sont chers ; mais il n’est pas donné à tous de comprendre que c’est la meilleure part ; remerciez le bon Dieu de ce qu’elle vous est échue, et priez pour ceux que vous avez laissés dans le monde, afin que si Dieu leur donnait la pensée de le quitter, ils aient le courage de le faire. Néanmoins il faut être appelé à cette sainte vocation ; heureux ceux à qui Dieu accorde cette grande grâce qui est la source d’une infinité d’autres qui y sont attachées. Tâchons d’y être bien fidèles ; car quand on est au bon Dieu il ne convient pas d’y être à demi ; il faut se livrer avec une grande générosité, si nous voulons que le bon Dieu nous fasse goûter les douceurs attachées à son service[12].

Les vocations religieuses viennent de Dieu ; s’y opposer, c’est souvent s’opposer à sa volonté. Or, Dieu est le Maître d’appeler qui il lui plaît. J’espère donc que vos parents sauront faire le sacrifice de leurs affections si le bon Dieu le leur demande. Il y a tant de pères et de mères dans le monde qui pleurent et qui gémissent sur la mauvaise conduite de leurs enfants, et ceux-là sont à plaindre ; mais ceux qui ont des enfants pieux et qui désirent être tout à Dieu, ils doivent s’en réjouir et en remercier le bon Dieu, au lieu de s’en affliger, car c’est un bonheur pour les familles[13].

La définition de la bonne religieuse selon Mère Thérèse

Il est temps, enfin, de travailler à devenir de bonnes religieuses, le moment est venu[14].

On a tant à demander à Dieu pour soi et pour les autres, pour le présent et pour l’avenir, que l’on voudrait pouvoir faire de la prière son occupation habituelle, comme elle devrait être, en effet, l’élément d’une religieuse[15].

Ce doit être, en effet, l’occupation d’une bonne religieuse : penser à Notre-Seigneur, l’étudier, lui parler, se tenir unie à Lui dans le travail et dans le repos, dans la peine et dans la joie. C’est Lui qui nous apprendra à tirer profit de toutes les diverses situations de la vie et à nous faire un mérite de tout ce qui peut nous arriver d’agréable ou de fâcheux. Sa divine Sagesse règle tout, ordonne tout ; cela doit nous suffire pour nous engager à le bénir de tout[16].

Notre chère retraite s’est clôturée ce matin : à mon avis elle a été bonne, très bonne, forte et énergique. On nous y a prêché la perfection au suprême degré et dans toutes les conférences quel qu’en fut le sujet, c’était toujours la même conclusion : qu’une religieuse doit être tout à Dieu, sans partage, sans restriction, sans réserve aucune et pour cela : dévouement, sacrifice, renoncement, mort à la nature, aux sens, à toutes les satisfactions de l’amour propre, mort enfin à tout ce qui n’est pas Dieu ; et que celles qui croiraient pouvoir bâtir l’édifice de leur perfection et de leur sainteté sur d’autres bases que ce dépouillement de tout soi-même seraient dans l’illusion et ne parviendraient jamais à la perfection. Je ne sais ce que les autres pensent de cette doctrine, mais elle m’allait parfaitement. Je n’en perdais pas un mot et j’avoue que je me délectais de l’entendre, parce que c’était aussi ma manière de penser, que j’y rencontrais souvent l’expression de mes propres sentiments et de mes dispositions. Je m’en réjouissais aussi pour les autres, parce que je pensais que les âmes y seraient éclairées[17].

Une astuce de Mère Thérèse pour persévérer

La sainte Mère me dit que je me nommais Thérèse comme elle, que je lui semblais bien jeune et qu’elle voulait m’aider à bien servir N.S. Elle ajouta que la première des grâces et que l’on pensait très rarement à demander c’était la persévérance dans la vocation… puis souriant, je suis bien vieille, je prie cependant pour cela tous les jours. / Une autre fois elle m’appela de nouveau et me dit : Une grâce qu’on ne pense pas non plus à demander et qui est pourtant le fondement de toutes les vertus religieuses, c’est une grande foi ; il faut beaucoup prier pour obtenir une grande foi. Priez toute votre vie pour obtenir une grande foi[18].


[1] À Notre Mère de Larochenégly à Paris, de Lyon, 7 août 1867.

[2] Sr Elisabeth Pacriaud, 24 juin 1911 (Souvenirs écrits).

[3] Témoignage écrit d’une Sœur.

[4] Sr Agarithe, 1887 (Souvenirs écrits).

[5] À Sœur Agnès au Plagnal, de La Louvesc, 14 janvier 1836.

[6] Sr Madeleine Rüffinier, procès de Malines, 1920.

[7] À Notre Mère de Larochenégly à Nancy, de Montpellier, 23 avril 1866 [1865].

[8] À Notre Mère de Larochenégly à Lyon, de Montpellier, 5 juin 1865.

[9] À Madame Stéphanie du Plessis, à Versailles, de Lyon, 18 mai 1880.

[10] À la Sœur Marguerite Hérique à Tours, de Lyon, 27 novembre 1868.

[11] À Notre Mère Marie Aimée Lautier à Versailles, de Lyon, 23 octobre 1867.

[12] À son neveu Adrien Rouvier, de Montpelier, 9 janvier 1863.

[13] À son neveu Alphonse Couderc, de Lyon, 14 janvier 1874 (à propos de la vocation de trappiste de son frère Léon).

[14] Lettre à ses filles annonçant la nomination de Mme de L., 26 oct. 1838.

[15] À Notre Mère Marie Aimé Lautier, à Versailles, Lyon, ce 21 octobre 1869.

[16] À la Mère Mathilde Davin à Tours, de Lyon, 13 février 1870.

[17] Notre Mère de Larochenégly, à Paris, de Lyon, le 23 décembre 1868.

[18] Mère Thérèse de Vaines, souvenirs écrits envoyés de Brighton, 16 juillet 1911.