08 - Prier avec Mère Thérèse pour la France

Version imprimableSend by email

Mère Thérèse avait composé une prière pour la France. Prier pour son pays est une tradition particulièrement présente en France et depuis longtemps. Traditionnellement, la prière pour la France a lieu le jour de l’Assomption, 15 août, pour rappeler le vœu, en 1638, du roi Louis XIII de consacrer le pays à la Sainte Vierge. Cette pratique fut ensuite encouragée par des apparitions, des mystiques et des papes.

Chacun peut s’en inspirer pour prier pour son propre pays

SOMMAIRE

Comment Mère Thérèse prie pour la France

Invocations pour la France de Mère Thérèse

Contexte politique

Courte analyse des invocations

La situation de la France dans la correspondance de Mère Thérèse

 

Comment Mère Thérèse prie pour la France

Un témoignage au procès en béatification et une lettre nous indique les circonstances dans lesquelles ces invocations ont été connues.

[…] Surtout, dans cette douloureuse année de 1880, on sentait dans la Mère Thérèse, même sans pénétrer dans ses secrets intimes, une unique pensée : celle de la réparation et de l’immolation. Son visage toujours grave avait pris une expression de souffrance qu’il n’a plus quittée. On devinait qu’elle gravissait un Clavaire et qu’elle s’était offerte pour la Congrégation, pour l’Eglise et pour la France ! C’est alors qu’elle avait composé une sorte de litanies de réparation, remise très simplement par elle à la Révérende Mère de Gaudin [Supérieure de la maison de Lyon] : “Seigneur, pardonnez à votre peuple. Seigneur, ayez pitié de votre peuple. Etc.[1]

La petite prière que vous trouverez jointe à ces lignes a été composée par Mère Thérèse afin d’implorer pour la France, elle me l’a donné hier soir, je la trouve très belle dans sa simplicité[2].

Est-ce parce que Mère Marie Aimée, Supérieure générale, a eu connaissance l’année précédente que Mère Thérèse priait pour la France qu’elle lui demande en 1881 de prier de nouveau à cette intention ?

« On dit que la Ste Vierge accordera beaucoup à ceux qui lui demanderont beaucoup, demandez-lui donc que son divin fils nous fasse miséricorde, qu’Il ne permette plus que les hommes l’offensent, qu’Il regarde la France avec amour et qu’Il lui donne Sa mère pour la sauver et la gouverner[3]. »

Mère Thérèse prie pour la France jusqu’au bout, puisqu’un mois avant sa mort, le jour de la saint Louis, roi de France, elle prie à cette intention.

« Ce matin, j’ai été avec le bon Dieu chez elle, puis au sortir du déjeuner j’ai interrompu son action de grâces : elle priait, m’a-t-elle dit, pour la France en cette fête de St Louis[4]. »

Invocations pour la France de Mère Thérèse

Il existe deux versions de ces invocations. L’une est celle donnée par Mère Thérèse à la Supérieure de Lyon. L’autre constitue la dernière prière d’un petit cahier manuscrit contenant diverses prières (nous avons déjà évoqué ce cahier ces derniers mois à propos d’autres prières).

Invocations pour la France

 

 

Mon Dieu, convertissez Votre peuple.

Mon Dieu, pardonnez à Votre peuple.

Mon Dieu, faites miséricorde à Votre peuple.

Mon Dieu, jetez un regard de compassion sur Votre peuple.

Mon Dieu, n’abandonnez pas Votre peuple.

Mon Dieu, soyez touché des maux de Votre peuple.

Mon Dieu, venez au secours de Votre peuple.

Mon Dieu, combattez pour Votre peuple.

Mon Dieu, faites éclater Votre puissance

et Votre bonté en faveur de Votre peuple,

Votre puissance en le secourant et Votre bonté en lui pardonnant.

[Version du cahier]

Jusqu’à quand Seigneur serez-vous irrité contre nous ?

 

Mon Dieu, ayez pitié de votre peuple

Mon Dieu, convertissez votre peuple

Mon Dieu, pardonnez à votre peuple

Mon Dieu, jetez un regard de compassion sur votre peuple

Mon Dieu, sauvez votre peuple

Mon Dieu, venez au secours de votre peuple

Mon Dieu, n’abandonnez pas votre peuple

Mon Dieu, faites éclater votre puissance

et votre bonté en faveur de votre peuple

Mon Dieu, combattez pour votre peuple

Mon Dieu, soyez touché des maux de votre peuple

Mon Dieu, venez et exaucez la prière de votre peuple qui a mis en vous toute sa confiance.

[Version donnée à Mère de Gaudin]

Récit de l’expulsion des Jésuites de leur maison de Fourvière (Lyon) dans le journal La France, 1er juillet 1880. Source : Gallica.

Contexte politique

Nous avons vu que ces invocations sont connues depuis 1880. Le contexte était alors celui d’un anticléricalisme politique.

 
« À la foire aux pains d'épices. Un amateur distingué ». Caricature de Jules Ferry croquant un prêtre en pain d'épice, par Gill dans la revue La Petite Lune, n°42 (1879). Source : BnF.  

Depuis le début de l’année 1879, il y a un nouveau gouvernement en France qui ne cache pas son anticléricalisme. Le nouveau Ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry, introduit immédiatement un projet de loi visant à exclure l’Eglise de l’Université et à interdire l’enseignement aux membres des congrégations religieuses non autorisées Le projet de loi est discuté à la Chambre des députés du 26 juin au 9 juillet 1879, puis au Sénat du 23 février au 9 mars 1880. La loi est adoptée le 16 mars 1880.

Le 4 mars, les Sœurs de la maison de Lyon - où se trouve Mère Thérèse - commencent une neuvaine à saint François-Xavier pour cette intention. Le 7, la communauté prie 21 chapelets à la même intention. Prières et adoration continuent le 8 et le 9. La communauté se tient au courant des votes au Parlement.

Les conséquences ne se font pas attendre. Le 29 mars 1880, les décrets de suppression de la Compagnie de Jésus et contre les congrégations religieuses sont publiés. Les congrégations ne peuvent plus avoir d’écoles et sont menacées d’être expulsées. De juin à août 1880, la police expulse les Jésuites de leurs maisons. Le journal de la maison de Lyon rapporte l’expulsion des Jésuites de leur maison de Fourvière le 30 juin (cf. le Journal de la maison au bas de cette page). Des amis du Cénacle se trouvaient alors dans notre maison au cas où les choses dégénéreraient. En racontant l’événement, la Supérieure conclue ainsi : « On comprend facilement combien notre M. Thérèse a été impressionnée de tout cela » (lettre de Mère de Gaudin à Mère Estienne, 5 juillet).

En octobre-novembre, 261 maisons religieuses ferment, 6 000 moines sont expulsés (le 16 oct. 1880, les Carmes de Fourvière, par exemple).

Même après les décrets du 29 mars, la Congrégation prie le Sacré Cœur pour la protection de la Congrégation. On peut imaginer que Mère Thérèse a en tête ces sujets quand elle prie pour “la conversion des […] persécuteurs de la foi et de la piété” (lettre à Mère Marie Aimée, 18 mai 1880).

Courte analyse des invocations

La version donnée à Mère de Gaudin commence par “Jusqu’à quand Seigneur serez-vous irrité contre nous ? / Mon Dieu, ayez pitié de votre peuple”. La première phrase est tirée du Psaume 79 (verset 5). La seconde est similaire au Livre de Joël 2, 17. Ensemble, elles donnent forme à une paraphrase du Parce Domine, une hymne de Carême. On pourrait donc supposer que Mère Thérèse avait en tête cette hymne lorsqu’elle a écrit les invocations (On peut d’ailleurs noter que la rédactrice du journal de la maison écrit le 2 juillet 1880 « […] Quelle tache pour l’honneur de notre pays. Parce Dominum ! » Cf. le Journal de la maison au bas de cette page).

En 1880, Pâques était le 28 mars, et le projet de loi contre l’Eglise dans l’enseignement est discuté au Sénat et est adoptée pendant ce même mois de mars 1880, et dans la communauté de Mère Thérèse les prières à cette intention ont été intenses. A partir de ces éléments, on peut émettre l’hypothèse que Mère Thérèse a composé ces invocations à cette période.

La situation de la France dans la correspondance de Mère Thérèse

« Il paraît bien que Dieu n’est pas trop content de son peuple dans ce moment, mais bienheureux s’il nous châtie dans ce monde pour nous épargner dans l’autre. » [À son frère prêtre Jean, La Louvesc, 23 nov. 1827]

« C’était un plaisir de voir cet empressement à aller prier la Sainte Vierge. Chacun sent le besoin de l’invoquer et on a bien raison, nous avons bien besoin qu’elle protège encore cette pauvre France. » [À Notre Mère de Larochenégly, 23 août 1869]

« Venez donc, ma très Révérende Mère, passer quelque temps jusqu’à ce qu’il se soit établi un peu de sécurité dans cette pauvre France toujours à la veille de quelque nouvel événement plus ou moins sinistre. Peut-être ne sommes-nous pas encore assez châtiés, mais prions la divine Miséricorde d’apaiser la justice et après cela espérons. » [À Notre Mère de Larochenégly, 6 mars 1872]

« Que vous dire de ce pauvre Lyon ? Il est un peu effrayé dans ce moment de l’état des affaires et sans doute qu’à Paris vous n’êtes pas plus rassuré. Je vous en prie, ma bien chère Mère, si les affaires s’embrouillent trop, quittez ce Paris où vous avez déjà tant souffert ; il me semble que toutes les autres maisons sont moins exposées que celle-là où les mauvais se réunissent ordinairement pour le signal du départ. Que le Bon Dieu daigne venir au secours de cette pauvre France sans amis et sans protecteurs. » [À la R. M. Dambuent, 26 novembre 1872]

« Nous avons eu un hiver bien doux cette année, point de neige et pas de fortes gelées, mais tout cela n’approche pas de tout ce que vous me dites de ce beau climat d’Afrique. Jouissez-en bien et ne regrettez pas pour le moment cette pauvre France toujours menacée de troubles et de révolutions. Je ne sais quand nous pourrons avoir un peu de sécurité, ce ne sera que quand le bon Dieu daignera y mettre la main ; il le fera quand il le voudra ; mais s’il juge à propos de faire durer encore l’épreuve et le châtiment il est le Maître, et il faut s’y soumettre et dire toujours et dans toutes les circonstances pénibles ou agréables : que son saint Nom soit béni.

Adieu, cher Neveu, dans ma pauvreté n’ayant rien à vous offrir, permettez-moi de vous envoyer une petite image de l’Enfant Jésus couché sur la paille, elle vous rappellera cette chère France que vous n’avez quittée que pour faire sa très sainte volonté. » [À son neveu l’abbé Rouvier, 9 janvier 1874]

« Vous avez eu la pensée d’entrer dans le commerce ; mais vous devez savoir qu’il va très mal dans le moment ; parce que l’on appréhende encore une révolution et des troubles pour cette pauvre France sans souverain et sans maître. » [À son neveu Alphonse Couderc, 14 janvier 1874]

« Je ne vous dis rien de notre pauvre France, rien en mieux n’est changé depuis que vous l’avez vue ; prions le bon Dieu de l’épargner, car elle est toujours en danger de perdre la Paix. » [À son neveu l’abbé Adrien Rouvier, 1er juin 1874]

« Quelles nouvelles vous donner maintenant de cette pauvre France où tout y est en ébullition, et où l’on est toujours menacé de nouveaux troubles ? » [À son neveu l’abbé Adrien Rouvier, 15 avril 1877]

« Adieu, cher Neveu, soyez heureux et en paix dans votre Mission d’Afrique, car en France on s’attend toujours à des troubles. » [À son neveu l’abbé Adrien Rouvier, 26 nov. 1878]

« Je remercie le Bon Dieu de ce qu’il m’a été permis de rester auprès de cette chère malade jusqu’à son dernier soupir. Je lui ai souvent rappelé d’offrir ses souffrances pour l’Église, la France et pour la Congrégation. » [À la Mère Bertier, 25 mai 1879]

« On ne voit dans l’avenir que des sujets de tristesse et de souffrance. Les persécutions de l’Église, les maux de la France qui devient toujours plus mauvaise et plus coupable et que Dieu menace de ses fléaux ; cette chère Congrégation dans laquelle je ne voudrais voir qu’un cœur et qu’une âme… Tout cela m‘attriste, m’afflige plus que je ne puis le dire. Et j’ai besoin de penser, de temps en temps, que Dieu qui a la toute puissance en main, peut remédier à tous ces maux quand il lui plaira ; que, s’il ne le fait pas, il faut se soumettre à sa divine volonté qui est toujours juste, toujours sainte et toujours adorable. » [À Notre Mère Marie Aimée Lautier, 29 sept. 1879]

« Ma pensée dominante depuis quelque temps, celle qui se présente la première dans tous mes exercices de piété, c’est la conversion des pécheurs, nos frères, surtout les persécuteurs de la foi et de la piété. Elles sont bien à plaindre ces pauvres âmes qui marchent gaiement et d’un pas assuré vers le gouffre qui va les engloutir et qu’elles ne voient pas, elles me font grande pitié ; mais hélas ! il faut se contenter de gémir quand on ne peut rien de plus. Oh ! que nous aurions besoin que l’esprit de lumière et de sainteté descendît encore une fois sur cette pauvre terre qui en est si dépourvue. Nous allons bien l’appeler pendant toute cette Octave et encore après. » [À Notre Mère Marie Aimée Lautier, 18 mai 1880]

« Quant à votre désir de vie religieuse, il vous est bien permis de l’avoir et même de l’effectuer quand vous le pourrez ; mais selon ma manière de voir, le moment est bien peu favorable puisque tous les Ordres religieux ont été obligés de se disperser, et qu’il ne leur est pas permis de vivre en communauté, aussi plusieurs de ces religieux ont accepté volontiers d’être curés ou vicaires, afin de pouvoir continuer d’exercer le ministère, et avoir par là même un aliment à donner à leur zèle. Le meilleur, il me semble, serait donc d’attendre encore un peu, mais attendre avec patience, avec douceur, avec paix ; les moments du Seigneur ne sont pas toujours les nôtres, il est vrai, mais qu’importe pourvu que nous fassions sa volonté. C’est alors le cas de dire avec Notre-Seigneur au jardin des olives : Que ma volonté ne se fasse pas, mais la vôtre. Or, la volonté de Dieu se manifeste par les événements qu’il ordonne ou qu’il permet, adorons ses desseins et soumettons-nous avec amour, persuadés que le tout sera pour notre plus grand bien. Au reste, cher neveu, ce qui doit être pour vous une consolation, c’est que sans avoir le titre de missionnaire, vous en faites les fonctions puisque vous travaillez à la gloire de Dieu et au salut des âmes dans votre ministère ; courage donc et confiance malgré les difficultés et les peines. Car si le prêtre qui vit au milieu du monde a ses croix, croyons bien que le religieux dans son cloître a aussi les siennes. Celle de notre Maître est si grande qu’elle est de tous les pays et de toutes les positions, et il en donne une parcelle à tous ses serviteurs bien-aimés. Nous ne sommes sur cette terre que pour souffrir ; et bien, souffrons pour cette pauvre France, demandons à Dieu d’avoir pitié de son peuple et d’abréger le temps de l’épreuve. » [A son neveu l’abbé Léon Couderc, 15 janv. 1881]

 « La Mère Thérèse disait ces jours-ci en voyant que nous n’avons pas encore obtenu ce que nous désirons pour la France, qu’elle avait pensé ou qu’on ne priait pas assez bien, ou qu’on ne demandait pas ce qu’il fallait, et que l’idée lui était venue de résumer toutes ses prières à ces deux choses : « Que le règne de Dieu arrive, qu’Il soit glorifié par tous les desseins qu’Il lui plaira d’accomplir, et que la volonté de Dieu soit faite sur toutes les âmes et par toutes les âmes[5] ».


[1] Mère Marie de Vaines au procès, Malines, 1922.

[2] Lettre de Mère de Gaudin à Mère Marie Aimée, sans date [probablement fin oct.] 1880.

[3] Lettre de Mère Marie Aimée à Mère Thérèse, 14 octobre 1881.

[4] Lettre de Mère Marie Aimée, 25 août 1885.

[5] Note sans indication de date, envoyée de Versailles par la Mre de Vibraye à la Mre d’Esparbès à Paris, in « Souvenirs de la Rde Me d’Esparbès écrits pour la plupart avant la mort de la M. Thérèse ».