02 canonisation Etape de la cause (Février 2020)

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Cause en béatification de Mère Thérèse : Ouverture du procès diocésain

Le mois dernier, nous avions vu comment dans les années qui suivent la mort de Mère Thérèse, la Congrégation a désiré la faire connaître et démarrer un procès en béatification et canonisation. Ce mois-ci, voyons comment ce procès a été ouvert. Mais avant ça, voyons comment les événements du début du XXème siècle ont eu une répercussion sur la Cause.

Déplacement du corps de Mère Thérèse pendant la Dispersion

Au tout début du siècle, les lois françaises contre les congrégations religieuses les ont interdites et leur ont confisqué leurs maisons en France. Pour continuer la vie religieuse sans se cacher, les Sœurs se sont exilées hors de France. C’est ce qu’on appelle la Dispersion. D’autres sont restées en France et ont continué l’apostolat en habit civil. Quand c’était possible, les maisons ont été confiées à des amis du Cénacle qui les ont parfois achetées.

C’est le cas de celle de La Louvesc, où le Docteur Eugène Vincent (1843-1926) a installé une maison de cure. Il aime beaucoup Mère Thérèse et sa congrégation. Il souhaite de tout cœur faire quelque chose pour elles. En accord avec Mère Marie Aimée Lautier, Supérieure générale, et avec la complicité des autorités religieuses et civiles, il organise en 1909 la translation de son corps du cimetière de La Louvesc, où il reposait dans le caveau de la Congrégation, à la chapelle du Cénacle. Il fait aménager sous le sol de la chapelle un caveau pour y déposer le cercueil. Pour ne pas éveiller les soupçons, il avait dit aux ouvriers vouloir installer dans cette excavation un système de chauffage. Le corps de Mère Thérèse y restera jusqu’en 1951. Avant cette date, il n’en sortira que pour le premier examen des restes de Mère Thérèse en 1929.

(Cf. ci-contre : Plan de la chapelle de la maison de La Louvesc indiquant l’emplacement du caveau et du cercueil de Mère Thérèse. Cahier de notes du Dr Vincent)

Mère Thérèse au front pendant la Première Guerre mondiale

La Dispersion a eu pour conséquence d’augmenter le nombre de Sœurs dans les maisons des pays proches de la France : en Belgique et en Italie, mais aussi en Angleterre. La forte concentration de Sœurs dans les maisons rend nécessaire de nouvelles fondations. L’une d’entre elles a lieu en 1913 à Grayshott, à 70 km de Londres. Les travaux de la maison sont à peine terminés qu’éclate la Première Guerre mondiale. L’Angleterre s’engage dans le conflit. Il faut alors des hôpitaux militaires dans le pays pour soigner les soldats blessés qui rentrent du front. Alors que le commandement militaire cherche à en ouvrir un à Grayshott, nos Sœurs proposent une partie de la maison. 25 lits y sont installés et 3 infirmières professionnelles y travaillent avec l’aide de quelques Sœurs. A peu de distance de la maison, il y a aussi un camp militaire. En 1916, un chapelain militaire demande que les soldats puissent venir prier dans la chapelle de la maison durant leur journée de repos. Les premiers à venir sont ravis de l’accueil qui leur ait fait par les Sœurs. Leur nombre augmente rapidement. Ce sont plusieurs centaines de soldats qui viendront passer leurs dimanches après-midi au Cénacle. Ces dimanches après-midi seront l’occasion d’un apostolat fructueux auprès des soldats, souvent éloignés de la pratique religieuse ou protestants.

Pourquoi parler de cet apostolat à Grayshott ? C'est qu'il n’est pas rare que les soldats repartent du Cénacle avec chapelet, crucifix ou image pieuse. Dans leurs discussions avec eux, les Sœurs évoquent forcément les dévotions qui leur sont les plus chères. L’une d’entre elles semble s’être développée parmi les soldats anglais, comme nous le raconte le compte-rendu annuel de la maison de Grayshott pour l’année 1917 :

« Nous devons mentionner ici une protection miraculeuse de notre vénérée Mère Thérèse envers un de nos soldats qui comme beaucoup de ceux qui fréquentent le Cénacle portait sur lui une de ses images. Etant au front, une balle vint le frapper dans la région du cœur, déchira livre de prière et image mais s’arrêta là, alors que selon le cours ordinaire des choses elle aurait dû pénétrer plus avant et causer une mort instantanée. Plein de reconnaissance envers notre vénérée Mère Thérèse, il nous rapporta comme une relique le livre de prière et l’image mutilée, nous demandant de la lui remplacer. [Cette histoire est racontée au procès par Mère Vuillaume.

[photo : Extrait de la déposition de Mère Dorothée (dite Dolly) Vuillaume au procès, le 22 décembre 1920 à Bruxelles. Elle est alors Assistante générale et Vicaire provinciale en Angleterre (1919-1928).[1]]

Un chapelain militaire écrivit du front à la Supérieure d’une de nos maisons de France pour lui demander des détails sur la vie de cette Mère Thérèse qui semble connue parmi les soldats et dont l’image circule dans les tranchées. Ces images furent distribuées par notre chère Révérende Mère à tous les soldats qui viennent ici le Dimanche, et en les recevant ils expriment leur confiance d’être préservés par elles de tous dangers. Puisse le Cénacle de Grayshott avoir contribué pour sa petite part à la glorification de notre vénérée Mère Thérèse. »

            Une autre Sœur qui était à Grayshott à l’époque a témoigné au procès de la diffusion de la dévotion à Mère Thérèse parmi les soldats : « J'ai pu constater par moi-même qu’elle était honorée par les soldats canadiens français ; dans les tranchées, on l’invoquait, on avait confiance en elle, les soldats portaient sur eux l’image de la Servante de Dieu [2] ».

Le procès diocésain se déroule dans trois diocèses

Avec le déclenchement de la guerre, les démarches pour faire avancer la cause de béatification de Mère Thérèse ont été mises entre parenthèses. Pendant ce temps, le Code de Droit canon a été promulgué (1917). Il rassemble pour la première fois toutes les lois, décrets et règles de l’Eglise. Il précise que les causes de béatification « sont réservées au seul jugement du Saint-Siège ». Elles sont de la compétence de la Sacrée Congrégation des Rites. Cependant, le procès préliminaire (procès informatif sur la renommée de sainteté, des vertus et des miracles de la Servante de Dieu) est diocésain. Il revient à l’Ordinaire du lieu (l'évêque) où la personne est décédée d’organiser le procès diocésain. Mère Thérèse étant morte à Lyon, le cardinal Joseph Maurin, archevêque de Lyon et Primat des Gaules, nomme Stéphane Vindry, protonotaire apostolique, doyen du chapitre primatial et vicaire épiscopal, pour le représenter comme président du tribunal composé de prêtres du diocèse.

Photos : Stèle funéraire du cardinal Maurin dans la chapelle des archevêques de la primatiale Saint-Jean de Lyon

Cachets de cire du vice-postulateur avec sa signature, son timbre.

Livre où sont consignées les premières questions des interrogatoires du procès informatif pour la Cause de béatification de Mère Thérèse retranscrites dans les actes du procès. La Congrégation ne conserve qu’une « Copie publique » de la transcription du procès puisque l’original est conservé par le Saint-Siège. La transcription du procès était rédigée en latin pour être comprise par tous les membres de la Sacrée Congrégation des Rites chargés d’instruire la Cause. Seules les réponses des témoins et les citations sont dans la langue d’origine.

On se rappelle que le Postulateur général de la Cause, qui devait résider à Rome, avait déjà été désigné en 1887. Il s’agissait de Mgr. Raffaele Virili, qui avait entre-temps reçu le titre d’archevêque. Pour représenter la Cause au procès diocésain, il nomme Vice-postulateur le chanoine Jean Choublier, chanoine honoraire de la primatiale. La première séance du tribunal a lieu en mars 1920. Après l’étude des articles de la vie de Mère Thérèse, les juges commencent à interroger les témoins. L’interrogatoire répond à des règles strictes : des questions sont rédigées par le Postulateur de la Cause et confiées au Promoteur de la Foi (appelé familièrement « avocat du diable »). Les juges ne peuvent pas poser d’autres questions. A Lyon, 28 témoins déposent : des Sœurs, des membres de la famille de Mère Thérèse, des Pères jésuites, des Sœurs de Saint-Régis, etc. mais aussi des Sœurs qui ne font que déposer des copies de documents (journaux des maisons où a résidé Mère Thérèse, annales, notes, souvenirs…). Le procès diocésain de Lyon dure jusqu’en mars 1922.

Convocation devant le Tribunal de la Cause à Bruxelles : de Mère Marie Aimée (22 nov. 1922) et de Sr Rosine Méry (15 déc. 1922). (Attention il y a erreur d’année !)

Le Code de Droit canon prévoit qu’il peut y avoir plusieurs enquêtes informatives si les témoins appartiennent à différents diocèses. Or, à cause de la Dispersion, le Gouvernement général de la Congrégation s’est transféré de Paris à Bruxelles. Même si depuis la fin du conflit les Sœurs ont commencé à se réinstaller en France[3], le Gouvernement général reste pourtant à Bruxelles car notre Supérieure générale Mère Marie Aimée est trop âgée pour un déménagement. Née en 1835, elle a 83 ans à la fin de la guerre. C’est donc dans notre maison de Bruxelles qu’elle décèdera en 1926, à l’âge de presque 91 ans. C’est aussi dans cette maison qu’elle déposera au procès en béatification de notre Mère Thérèse.

Le procès du diocèse de Malines commence en novembre 1922. Les juges y interrogent 25 témoins, dont notre Mère Marie Aimée, ainsi que Mère Louise Baudot, Secrétaire générale, et Mère Irene Maranzana, archiviste, qui déposent des documents. Dans le diocèse de Viviers, 11 témoins comparaissent en 1921.

Premières pages du carnet de [la Supérieure de] la maison de Bruxelles retraçant la chronologie des séances du tribunal dans la maison de Bruxelles.

Etude par Rome des enquêtes diocésaines

Décret imprimé de la S. Congrégation des Rites du 15 juillet 1924 permettant à la Cause de continuer après la révision des écrits de « la Servante de Dieu, Sœur Thérèse Couderc, cofondatrice de l’Institut des Sœurs de Notre-Dame de la Retraite au Cénacle ».



Le résultat de toutes ces enquêtes sont envoyées à Rome pour être recopiés. Les écrits de Mère Thérèse sont lus par des théologiens qui n’y trouvent rien de contraire à la foi et à la morale. Les cardinaux de la Congrégation des Rites approuvent alors cette révision (1924). Puis une Positio super introductione Causae est préparée (1927). Elle rassemble dans un volume relié une Informatio sur la vie de la Servante de Dieu et ses vertus, un Résumé des procès informatifs, les observations et difficultés du Promoteur de la Foi (avocat du diable chargé d'argumenter contre la béatification de la candidate), les réponses qui y ont été apportées par le Postulateur, ainsi que les lettres postulatoires : de 1920 à 1926, 389 cardinaux, évêques, princes, supérieurs d’ordres et d’Instituts religieux ont écrit pour demander l’ouverture du procès en béatification de Mère Thérèse. Le 13 juillet 1927, la SC des Rites signe un Décret pour l’introduction de la Cause.

Un nouveau document permet à la Cause de se poursuivre : Positio super validitate processum (1932), puis on prépare la discussion sur la question suivante : Y a-t-il des preuves que la Servante de Dieu pratiquait les vertus cardinales et théologiques à un degré héroïques ? Ce point est discuté lors de trois réunions préparées par trois rapports successifs : Positio super virtutibus (1934), Nova positio super virtutibus (1934), Novissima super virtutibus (1935). La dernière est présidée par le pape qui signe le décret reconnaissant l’héroïcité des vertus de Mère Thérèse le 12 mai 1935.

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[1] « Pendant la guerre, nos sœurs de Grayshott avaient l’habitude de distribuer des images de la Mère Thérèse à tous les soldats qui venaient au couvent en grand nombre. Un jour, l’un d’eux revint en disant que Notre Mère lui avait sauvé la vie. Il remit à la religieuse qui le recevait, Madame Joséphine Jobson, l’image de la Mère Thérèse qui avait été déchirée par l’éclat de Shrapnel, qui vraisemblablement allait lui traverser le cœur et avait été détourné, ne lui faisant qu’une légère blessure. Ceci s’est passé en mai 1917. Je tiens ce récit de Madame Jobson elle-même. ».

[2] Sr Rosine Méry (1882-1969), petite-nièce de Mère Thérèse par sa mère, au procès diocésain, 15 décembre 1920 à Bruxelles

[3] Le déclenchement de la Première Guerre mondiale avait provoqué l’arrêt des persécutions contre les congrégations religieuses pour permettre l’ « Union sacrée » des forces. 9 323 religieux reviennent d’exil pour être mobilisés dans l’armée. De 1914 à 1918, 1 237 d’entre eux sont blessés et 1 571 meurent dans les combats (chiffres de l’Association Droits du religieux ancien combattant, DRAC). Cela a permis aux mentalités de changer. Les congrégations reviennent alors progressivement s’installer en France. C’est le cas du Cénacle.