05 Canonisation : la journée du 10 mai 1970 à Rome

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A : La guérison de Mère Madeleine Delattre, religieuse du Cénacle

            « Ayant toujours eu une bonne santé, je classais dans ma pensée les humains en deux catégories : les bien portants et les "malades", et je n’avais jamais envisagé que je passerais dans la seconde, à vingt-six ans. »

            Ainsi commence le récit de Mère Madeleine Delattre, écrit de sa main le 22 août 1954 à la demande de Mgr Fontenelle, le Postulateur de la Cause. Elle est interrogée en juin 1955 à Versailles par le tribunal diocésain établi pour examiner sa guérison.

En 1931, alors qu'elle faisait son juvénat à La Louvesc, Mère Madeleine Delattre, âgée de 26 ans, commence a souffrir de la cheville droite. Après avoir semblé s'en remettre, elle en souffre de nouveau quelques mois plus tard, et l'on découvre qu'elle est atteinte de tuberculose au pied et aux poumons. On lui plâtre le pied. Le mal allant en s'aggravant, les docteurs décident l'amputation de la jambe droite à mi-cuisse. L'opération se fait à Paris, le 26 février 1932.

En l944, elle fait une chute en tombant lourdement à la renverse, d'une chaise sur laquelle elle était imprudemment montée, malgré sa prothèse (jambe artificielle), pour arranger un rideau. Choc violent à la mâchoire, à la tempe, et à l'arrière du cou. N'ayant rien de cassé, elle n'y fit plus attention. En juillet 1948, elle commence à éprouver des migraines fréquentes, et en novembre l950 un brusque mal a la mâchoire qui rappelle les douleurs éprouvées jadis à la cheville. En mars 1951 une radio de l'articulation de la mâchoire révèle la tuberculose Il faut de nouveau une opération ; on remplace l'articulation par du plastique. Un peu plus tard on découvre encore que la tuberculose osseuse dont la Sœur est atteinte s'est portée sur les 4ème et 5ème vertèbres qui sont affaissées. Elle est envoyée au soleil (Cénacle de Montpellier, cf. ci-contre la maison et l'intérieur de la chapelle) et condamnée à porter une minerve.

En recommandant cette vie de malade, au début août j’avais mis sur la petite table près de mon lit une image de la Mère Thérèse, et posé contre elle un signet d’opaline avec ces mots : “Monstra te este matrem[1]”. 
Pourquoi ? C’était une période où nous pensions toutes à notre Fondatrice, elle aurait dû être béatifiée le 17 juin et la date des élections en France avait fait reculer de 5 mois la cérémonie. Pour moi, personnellement, ces mots voulaient dire plus : en septembre 1943, ayant appris la mort de maman, je voulais prier à la tribune pensant demander à la Ste Vierge d’être encore plus ma mère et, en passant devant la statue de la Mère Thérèse posée près de la porte, j’ai eu la pensée de la choisir elle : “Prends-moi”. Et c’est à elle que j’ai demandé de veiller sur moi comme une mère. Quand on est une infirme on sent encore plus qu’avant le besoin d’une vigilance maternelle.
En 1951, je rappelais donc à notre Fondatrice que c’est elle qui était ma mère. J’avais sa relique contre mon cou et je n’ai prié qu’elle ; sans préciser ce que je demandais, c’était bien de guérir que j’avais envie. […]
J’arrivais à Montpellier pendant les préparatifs de la fête en union avec la Béatification à Rome.
4 novembre, journée merveilleuse, nous avons pu entendre à la radio l’invocation “Beata Teresa” ! L’après-midi, cérémonie dans la chapelle comble, atmosphère intense de surnaturel, et, pour nous, joie d’être filles d’une Bienheureuse.
Ce soir-là, j’ai pris l’habitude avant de m’endormir de demander la bénédiction du Père, du Fils et du St Esprit par l’intercession de N.D. du Cénacle et de notre Bse Mère Thérèse ; et elle entrait encore plus dans ma vie.”

Le 28 janvier 1952, il lui arrive un nouvel accident : en entrant au chœur pour l’Office, elle glisse et tombe lourdement à terre, étendue de tout son long sur le dos devant la grille, le maxillaire droit ayant heurté fortement contre le bas de la première stalle et la tête cogné par terre, alors qu'en principe elle ne devait pas même la bouger! ... Cet accroc mettait donc le comble à son mal. Le lendemain crise de foie pour plusieurs jours. Mais ici laissons la parole à Mère Delattre…

“Le 1er février 1952, une retraitante m'ayant écrit pour demander l'envoi d'une relique avec authentique, un petit reliquaire contenant un fragment d'os a été apporté dans ma chambre pour que, de mon lit, je prépare le paquet. Avant de le faire j'ai posé cette vraie relique sur mon cou en demandant à notre Bienheureuse que cette chute ne retarde pas mon rétablissement, "que je n'aie pas trop cassé de choses en tombant". - Je n'ai pensé qu’après que c'était l'anniversaire de sa naissance à Sablières.
Le 2, j'étais à la messe au chœur, le 3 après-midi j'ai été fatiguée et l'infirmière ne m'a pas permis d'aller à l'imposition des cierges de saint Blaise.
Le 4, cela n'allait qu'à moitié, j'ai été à la tribune vers 4 h l/2 pour mon adoration. J'avais envie de pleurer et pensais me mettre derrière l'harmonium pour me cacher, mais une Mère entrée en même temps que moi avait pris cette place, il ne me restait que la chaise d'avant. Vite assise, j'ai dû raconter à Notre-Seigneur comme j'étais déçue par cette chute et ses conséquences, moi qui espérais des permissions nouvelles pour reprendre plus de vie commune me voilà à plat et retombée entre les mains des infirmières. Et tout à coup, comme entre les barreaux de la balustrade de la tribune mon regard passait sur le tableau de notre Bienheureuse Mère, dont on aperçoit une partie [sur la photo ci-contre, la flèche de droite indique la place de Mère Delattre, la flèche de gauche le portrait de Mère Thérèse], j'ai entendu en même temps ces mots "mais, tu es guérie" d'une voix accentuée, convaincue et en même temps douce. Cela venait du portrait, mais je l'entendais au dedans, et ces mots ont mis mon âme dans la paix, la joie, tout s'unifiait en moi dans une atmosphère de douceur, je me suis sentie enveloppée par un calme inconnu, comme si j'avais senti, quelques minutes, l'invisible.
Quand je suis revenue de ma surprise et redevenue seule, j'ai regardé vers la Mère R..., elle était bien tranquille. J'avais fameusement envie de défaire la minerve pour voir, mais comme il me fallait l’infirmière pour la relacer j'ai attendu jusqu'au soir, remarquant que je ne sentais aucun mal au point sensible de la colonne.
A 8 h. du soir, retirant la minerve, j'ai essayé et voici que ma tête tournait facilement à droite, à gauche, je pouvais la baisser sans douleur, alors que quelques jours avant j'avais protesté quand la sœur avait voulu passer la tondeuse car cela faisait mal de toucher la nuque.
Et là, je n'ai plus su que faire. J'étais stupéfaite de la constatation. Quand je demandais ma guérison, je pensais à la réussite des dix-huit mois de minerve prévus, et je ne l'attendais pas avant le Jeudi Saint 1953, j'avais cherché la date.
Arrivée la dernière dans cette maison, j'avais pris pour moi toutes les prières, l'atmosphère de confiance, alors que les autres désiraient guérir.
Et si je me trompais en me croyant guérie par Notre Bienheureuse Mère, on dirait qu'elle n'a pas de puissance au ciel…
Alors je n'ai rien osé dire tout de suite. L’infirmière est venue me rebloquer comme d'habitude.
Dix jours après, voyant que cela durait, j'ai été le dire à Notre Mère. Le médecin, par téléphone, a refusé de nous recevoir, c'était trop tôt - et refusé aussi de laisser retirer la minerve, car je ne pouvais pas être remise, rien à regarder avant juin.
J'ai diminué le temps de repos, ne me recouchant plus en revenant de la messe jusqu'à midi. A la mi-mars j'ai pris du travail de peinture d'abat-jour sans sentir de douleur.
Le 13 juin j'ai repassé à la radio.
Le 17, le Docteur, en regardant sur son cadre lumineux les radios récentes et les anciennes, a dit à mi-voix : Vous êtes guérie - mais vous ne devriez pas 1'être. - Ici à l'atlas, on pouvait penser tumeur blanche, rien ne s'est développé, en six mois elle devait évoluer. - Vous n'avez plus rien, mais en conscience, à cause de vos antécédents, je ne peux vous laisser en liberté, continuez le repos et à porter la minerve.
Le 4 décembre nous sommes revenues. Le Docteur a affirmé la guérison, permis de retirer la minerve le jour et constaté que le cou tournait très bien malgré les 13 mois l/2 de minerve. Je suis rentrée avec la fameuse minerve dans un sac et sans me sentir "drôle", un peu froid au cou seulement.
Le 2 février 1953, le Docteur permet la séparation complète de la minerve, confirme la guérison et en nous quittant "vous avez une invisible protection sur vous" a-t-il dit.
J'ai raconté les choses comme je crois qu'elles se sont passées, j'ai eu un mal tenaillant dans le cou - je ne l'ai plus senti depuis le 4 février 1952. Je n'ai demandé qu’à la Mère Thérèse de me guérir. En 1931-32, toute la Congrégation lui avait fait des neuvaines pour moi, elle me connaît bien. Elle a dû penser que ma jambe n'était pas indispensable pour vivre ma vie religieuse, mais qu'il me fallait ma tête, et cette fois-ci j'avais bien plus confiance en elle."
 

Toutes les procédures - médicales et ecclésiastiques - nécessaires à la reconnaissance officielle du caractère miraculeux des deux guérisons étudiées (de Soeur Marie-Jean et de Mère Madeleine Delattre), ayant eu lieu, la Sacrée Congrégation des Rites, réunie le 26 novembre 1968, donna une conclusion positive. A l'audience générale du 9 juillet 1969, le Saint Père, s'adressant aux capitulantes réunies à Rome, renouvela l'assurance de la prochaine Canonisation.

Illustrations ci-dessous (passez la souris sur l'image pour l'agrandir) : 1. Mère Delattre  2. Dans la Positio super miraculis, première page de la réponse du Postulateur aux objections du Promoteur de la Foi (“avocat du diable”)  3. Réponse à une question sur le caractère instantané de la guérison

Dans la Positio super miraculis, réponse du Postulateur à une question du Promoteur de la Foi (“avocat du diable”) sur le caractère instantané de la guérison.

[1] Montrez-vous et soyez une mère.

B : La journée du 10 mai 1970 à Rome (cf. illustrations ci-dessous)