06 - Mère Thérèse et le Coeur de Jésus

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Vous faites bien de propager la dévotion au Cœur de Jésus ; combien je serais heureuse de pouvoir vous aider en cela[1]

Oh ! si le monde comprenait le bonheur d’un cœur parfaitement attaché au Cœur de Jésus ; mais hélas ! le monde ne connaît que les plaisirs, les richesses, les honneurs et la gloire. Tout cela s’éclipse, et disparaît comme une fumée, ne laissant dans le cœur que vide, regrets et cuisants remords[2].

Ces deux extraits de lettres, disent quelque chose de l’importance que Mère Thérèse accorde à la dévotion au Cœur sacré de Jésus.

Etudier au mois de juin le rapport qu’avait Mère Thérèse avec la dévotion au Cœur de Jésus n’est pas anodin, puisque c’est le mois qui lui est traditionnellement consacré. Plus encore, ce thème a une actualité plus brûlante, puisqu’au mois de mars 2020 on a vu cette dévotion remise en avant : les neuvaines au Sacré Cœur ont circulé et des pays se sont consacrés au Cœur divin au plus fort de la crise du COVID-19. Dans l’Histoire, en effet, le Sacré Cœur a été invoqué comme refuge et salut dans les calamités publiques : pendant les épidémies de peste au XVIIIème siècle, par la Compagnie de Jésus dans ses malheurs (suppression en 1773), pendant la Révolution française, par les soldats au cours de la Première Guerre mondiale…

1826

Reprise du procès en béatification de Marguerite Marie Alacoque
1856 Extension à l’Eglise universelle de la fête du Sacré Cœur
1864 Béatification de Marguerite Marie
1875 Solennité du 2e centenaire de la grande apparition de Jésus à Marguerite Marie et début de la construction de la basilique du Sacré-Cœur à Paris

Le culte au Sacré Cœur de Jésus est ancien. On en voit les prémices dès le XIème siècle. Ainsi, la dévotion telle qu’elle est reconnue et pratiquée par l’Eglise, ne repose pas sur les révélations de Marguerite Marie Alacoque, mais les révélations qu’elle dit avoir reçues de Jésus sont à la base du mouvement de dévotion au Cœur de Jésus qui se développe à partir du XVIIème siècle. Le procès en béatification de Marguerite Marie donne un élan nouveau à cette dévotion au XIXème ; siècle qu’on a qualifié de “siècle du Sacré Cœur[3]”.

Il n’est donc pas étonnant que la spiritualité de Mère Thérèse soit infusée de la dévotion au Cœur de Jésus, dévotion complète qui elle-même en englobe d’autres.

Tout d’abord l’Incarnation : l’objet de la dévotion est d’abord le Cœur de chair de Jésus. On voit parfois Mère Thérèse, suivant l’esprit des Exercices[4], suivre les tribulations de Jésus par la pensée.

Le Cœur de chair est aussi le symbole de l’amour divin, de la miséricorde divine et de la bonté divine. Thèmes chers à Mère Thérèse et qu’on retrouvent fréquemment dans sa correspondance. Par extension, l’objet est l’intime de Jésus.

Par amour, Jésus s’est fait homme et est mort pour le Salut des hommes. La dévotion à son Cœur est donc en rapport étroit avec la Passion (cf. Mère Thérèse qui revivait en larmes le Vendredi Saint) et avec l’Eucharistie, renouvellement du sacrifice de la Croix et présence de Jésus (cf. la dévotion de Mère Thérèse pour l’Eucharistie), mais aussi avec le thème de la sanctification.

Vivre au rythme du Cœur de Jésus

Le calendrier de la dévotion est marqué par une fête annuelle, un mois qui lui est consacré et par le 1er vendredi de chaque mois. La fête du Sacré Cœur célébrée le 3ème vendredi après la solennité de la Pentecôte, commémore la Miséricorde divine ; tandis que les « 9 premiers vendredis du mois » (premiers vendredis de 9 mois consécutifs) sont consacrés à l’“amende honorable” au Cœur de Jésus demandée par lui à sainte Marguerite Marie Alacoque à Paray-le-Monial[5]. Une Sœur se souvient que le 1er Vendredi du mois, elle assistait toujours au sermon de la réunion de la Communion Réparatrice (ou de la garde d’honneur) qui avait lieu dans notre chapelle[6].

Ce calendrier ponctue la vie de Mère Thérèse, comme nous le révèle sa correspondance[7].

Image d’affiliation de Mère Thérèse à la Confrérie du Sacré Coeur à Montpellier (recto et verso).

Sa dévotion au Cœur de Jésus

Des religieuses de la Congrégation ont témoigné de la dévotion de Mère Thérèse. Ecoutons-les parler devant le jury du procès en béatification :

Une autre fois, elle me disait “Nous devrions chérir tout ce qui nous fait souffrir parce que c’est une petite portion de la Croix de Notre-Seigneur. Pensons combien Il a souffert quand Il était au milieu des rues de Jérusalem, qu’il était traîné de tribunal en tribunal. Il avait la corde au cou et les mains liées derrière le dos et bien serrées. Ses ennemis avaient tant peur qu’Il leur échappe. Il avait le cœur broyé, Notre-Seigneur, en voyant l’ingratitude de cette foule comblée par Lui de tant de bienfaits. Tachez, ma bonne Sœur, de penser à cela dans la journée pendant votre travail et dites-Lui pour Le consoler un peu : doux Cœur de Jésus, souffrant pour nous, soyez mon amour, faites-moi la grâce d’aimer à être humiliée et méprisée pour vous ressembler un peu”[8]

Elle me dit : ma chère petite sœur, il y a quelque fois des souffrances qui sont grandes [dans la vie religieuse], mais il faut nous rappeler qu’elles sont bien petites [comparées] à celles de N.S. […] Voyez le bon Dieu dans les autres et confiez vos peines au bon Dieu qui a toujours l’oreille de son cœur miséricordieusement disposé et répéter sans cesse Mon Dieu et mon tout. (témoignage écrit de Sr Jacqueline)

Rien, ni personne du dehors ou du dedans ne distrayait son entretien non interrompu avec Dieu. Elle se confiait en Dieu seul, elle abandonnait à son Cœur, à sa bonté infinie, les intérêts de ce qui lui était plus cher qu’elle-même : l’Eglise et notre Société[9].

Elle avait la dévotion d’adorer N.S. dans le cœur de tous les hommes, visitant en esprit toute la terre, voulant ainsi dédommager son céleste Epoux de la solitude où le laissent tant d’âmes où Il habite pourtant par la grâce du Baptême[10].

je remarquais sa dévotion au Sacré-Cœur de Jésus ; à la prière Âme de Jésus sanctifiez-moi, elle ajoutait en seconde ligne : Cœur Sacré de Jésus embrasez-moi ; elle aimait à ce que nous la disions ainsi, disant en souriant que cela ne gâtait rien à la prière…

Je fus frappée aussi de sa solide piété à la Passion de Notre-Seigneur ; vers la fin du Carême, parlant de la méditation du matin, elle me dit : cet auteur nous fait contempler pendant quinze jours Notre-Seigneur suspendu à la Croix ; c’est trop, les forces n’y suffisent pas ; ô bon Maître ! Ses regards levés au ciel et toute l’expression de son visage achevaient suffisamment sa pensée[11].

L’objet de la dévotion : l’amour divin pour les hommes

Les fleurs du Sacré Coeur : image donnée à Mère du Plessis (recto et verso).

“Souvenir du Pélerinage de Notre-Dame de Fourvières le 21 juin 1881 – départ pour Turin »

« Je suis la fleur des champs et le lis des vallées. (Cantique) »

« Donnée par Mère Thérèse » « union de Prière »

Voici ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’Il n’a rien épargné pour leur témoigner son amour ; et au lieu de reconnaissance, Il ne reçoit de la plupart que des ingratitudes, de l’indifférence et même du mépris dans ce sacrement d’amour” [l’Eucharistie], dit Jésus en montrant son Cœur à Marguerite Marie.

La dévotion du Cœur de Jésus est la reconnaissance de l’amour, de la bonté divine. Un amour qui se manifeste jusqu’à la Croix, sacrifice renouvelé dans l’Eucharistie. En ignorant cet amour divin, l’homme fait souffrir le Cœur de Jésus. En réparation, il demande qu’une fois par semaine nous ayons part à sa tristesse au Jardin des Olives (message à Marguerite Marie).

[pendant mon action de grâces] j’ai encore, comme tant d’autres fois, joui et souffert en même temps : joui de pouvoir m’unir à l’objet de notre amour, mais aussi souffert beaucoup de cette impuissance où je me suis vue de répondre à tant d’amour. Il faudrait aimer infiniment un Dieu infiniment aimable, car il mérite un amour infini, et notre incapacité nous arrête. L’âme sent un besoin extrême de le louer, de le glorifier, de le remercier et de l’aimer dignement et elle ne le peut. Cette impuissance est une peine indéfinissable qui la réduit à une espèce d’agonie, parce qu’elle voit que c’est le péché qui nous a réduits à cette triste condition de ne pouvoir rendre à notre Dieu les hommages que nous lui devons. Elle porte envie aux anges qui, dans le ciel, ne cessent de le louer. Mais n’est-il pas aussi le Dieu de l’homme aussi bien que des anges ? Et n’est-ce pas le même Dieu infiniment bon et infiniment aimable ? Pourquoi donc l’homme est-il réduit à cette dure et triste impuissance de ne le pouvoir louer aussi parfaitement que les anges ? Même réponse à cette âme affligée : le péché. Peut-on après cela ne pas désirer avec ardeur de quitter cette terre de péché, afin de terminer une vie qui ne sera jamais sans quelque péché, seul obstacle à la possession du souverain Bien, du Bien infini !

 

Le péché et la Passion de Notre-Seigneur sont toujours les sujets qui m’impressionnent le plus. Veuillez, ma très Révérende Mère, demander au Bon Dieu pour moi que ce ne soit pas inutilement et que je ne reçoive pas en vain toutes ces grâces.[12]

Comment Mère Thérèse s’est-elle mise à l’école de “ce Cœur qui a tant aimé les hommes” ?

Alors qu’on lui rapporte qu’un prédicateur a dit à une retraitante qu’il avait confié ses intentions aux prières d’une religieuse [Mère Thérèse] qui a le cœur grand comme Lyon, Mère Thérèse s’exclame : Je n’ai pas le cœur grand comme Lyon, mon cœur est grand comme le monde.

Une source d’amour et de miséricorde

Et puis voilà le mois du Cœur de Jésus commencé, c’est la source de tous les biens, allons y puiser avec humilité et confiance.[14]

Que ce Cœur divin embrasse le vôtre de son divin amour. Priez-le un peu pour moi.[15]

Votre lettre m’a été remise la veille de Sainte Thérèse et j’ai eu la consolation, le matin, de penser que j’avais une petite part à vos prières pour obtenir du Cœur de Jésus la grâce que vous me souhaitez, que le mien soit embrasé du feu de son amour…[16]

Si je veux, le soir, jeter les yeux sur ma journée, je ne vois que des inutilités ; bien plus que cela je ne vois que des manquements, des défauts, des imperfections. La prière, le travail, le repos, tout est imparfait, rien de bien. Que faire alors ? Eh bien, pour ne pas me décourager, car j’appréhende le découragement, je jette tout cela dans le Cœur de Jésus qui est un abîme de miséricorde, et je le prie de vouloir bien, dans sa bonté, tout réparer, tout sanctifier[17]

Imiter Jean : approcher le Cœur de Jésus pour en tirer ses trésors

Jean est “le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le repas, s’était penché sur la poitrine de Jésus” (Jn 21, 20 en référence à Jn 13, 25). Une lecture symbolique nous fait comprendre que, en faisant le geste de se pencher vers la poitrine du Christ, là où réside son cœur humain, Jean entre dans l’intimité et les secrets du Cœur divin.

Symboliquement, poitrine et cœur se confondaient pour faire référence à l’intime de Jésus. Pour saint Augustin, par exemple, le repos de Jean sur la poitrine du Christ signifiait qu’il avait bu les plus grands secrets dans l’intimité du Cœur de Jésus. Pour Origène, Jean l’Evangéliste a tiré les trésors de sa science et de sa doctrine, du Cœur de Jésus.

Je n’oublie, cher frère, que nous honorerons demain votre saint Patron. J’ignore si vous aurez reçu ces lignes, mais vous savez d’avance que votre sœur vous donnera ce jour-là tout ce qu’il est en son pouvoir de vous donner, et que ce sera de tout mon cœur que je prierai pour vous ce bien-aimé du divin Maître, ce confident des secrets de son Cœur. Je voudrais bien qu’il m’apprît le secret d’entrer dans ce divin sanctuaire, aussi intimement que lui, afin d’y apprendre aussi la science de l’amour et de la sainteté. Vous le lui demanderez aussi pour moi, mon bien cher frère, surtout quand vous avez le bonheur, comme St Jean, d’approcher Jésus de plus près que le reste des homme.[18]

Je veux aujourd’hui me donner le plaisir de passer ma journée avec vous. Ce matin vous avez été bien présent à ma pensée, à la Messe et à la Communion et j’ai bien prié l’Apôtre privilégié, votre Patron, de vous obtenir, si vous ne l’avez déjà, cette plénitude de l’esprit sacerdotal qu’il a su puiser dans le Cœur du Bon Maître et qui fait les saints Prêtres et les Apôtres puissants en paroles et en œuvres.[19]

J’ai bien prié ce cher favori du bon Maître de protéger tout particulièrement celui qui a l’honneur de porter son nom, et de lui communiquer avec l’esprit sacerdotal, la plénitude de cette science divine qu’il a su puiser dans le Cœur de Jésus. [20]

Laissez-moi vous dire bonne fête, et croyez que je vous ai été bien unie aujourd’hui pour honorer votre bien-aimé Patron et le prier pour vous de tout cœur : qu’il daigne toujours vous protéger, et vous obtenir de son bon Maître cette plénitude de l’esprit apostolique et sacerdotal qu’il possédait à un si haut degré : je sais cher frère que cette demande vous plaira et que ce sont là les biens que vous désirez le plus, comme vous l’aurez aussi un peu prié pour moi qui voudrais bien avoir comme lui le secret de pénétrer bien avant dans le Cœur de Notre-Seigneur, source de tous les biens, et savoir aussi puiser dans ce trésor divin de quoi enrichir ma trop grande pauvreté et misère que je sens bien vivement.[21]

Dans sa correspondance, c’est dans le Cœur du Seigneur qu’elle place son union avec les âmes religieuses

Cette affection religieuse qu'il a lui-même cimentée ne peut être altérée ni par le temps ni par les lieux et, quoiqu'il arrive, elle subsistera toujours parce qu'elle a sa source dans son Cœur Sacré et que c'est là aussi qu'elle doit être consommée à jamais. C'est une des plus douces pensées de l'espérance chrétienne et religieuse[22].

Chère Sœur, soyez bien assurée de l'affection religieuse de celle qui vous est bien particulièrement unie dans le Cœur de Jésus[23]

Adieu, chère Sœur, toute à vous dans le Cœur du bon Maître[24]

Adieu, toute à Dieu dans le Cœur du bon Maître Jésus[25]

Adieu, dans le Cœur du bon Maître qui vous visite par sa Croix[26]

Adieu ma Révérende Mère, mais croyez que je vous demeure bien unie dans le Cœur du Divin Maître, c’est donc en lui que je suis avec le plus affectueux respect, Votre très humble et obéissante Sœur Thérèse, rel. de la retr.[27]

Adieu encore dans le Cœur du Bon Maître. C’est en Lui que je suis votre bien affectionnée et dévouée…[28]

Adieu encore, mais toujours bien unies dans le Cœur et au pied de la Croix du bon Maître[29]

Me voilà obligée de vous quitter plus tôt que je ne voudrais, ma bien digne Mère, mais nous pouvons nous retrouver souvent dans le Cœur du bon Maître. C’est en Lui que je vous prie de me croire toujours avec un affectueux respect, ma Révérende Mère, votre toute dévouée, Thérèse[30]

Me voilà obligée de vous dire adieu sur ce bout de papier mais toujours unie dans le Cœur du bon Maître de loin comme de près[31]

Adieu, ma bonne Mère, je suis obligée de cesser ma causerie avec vous, mais je vous reste bien unie dans le Cœur du Bon Maître[32].

Adieu encore dans le Cœur de Jésus, c’est en Lui que je vous demeure bien unie de cœur[33].

Adieu, mais toujours bien unies dans le Cœur de Notre-Seigneur[34]

Adieu, ma Révérende Mère, je vous demeure bien unie dans le Cœur du bon Maître, et que ce soit là toujours notre rendez-vous[35].

Adieu, j’accepte avec plaisir le rendez-vous dans le Cœur du bon Maître, demandez-lui, je vous prie, qu’il daigne m’y recevoir et qu’il m’accorde la grâce de n’en sortir jamais[36].

Adieu et toujours à Dieu par les Cœurs de Jésus et de Marie Immaculée[37].

Je suis en union avec vos prières et dans les Cœurs de Jésus et de Marie auxquels je vous recommande souvent[38]

 

Anciennes croix de costume du Cénacle (à gauche) et des Soeurs coadjutrices de la Société du Sacré-Coeur de Jésus, recto-verso (archives générales RSCJ).

Le but de la Congrégation

Cette façon de conclure une lettre rappelle la façon dont le Père Terme finissait les siennes, dans le Cœur de Jésus et de Marie. La proximité avec le bon prêtre sur ce thème ne s’arrête pas là. Le Père Terme, qui cite le Cœur de Jésus 106 fois dans les Règles des Sœurs, fait de la glorification de ce Cœur divin le but de la Congrégation naissante, comme l’explique Mère Thérèse à Mgr Bonnel, évêque de Viviers. Le Père Terme copiait en grande partie le livre des Constitutions des Religieuses du Sacré-Cœur ; il était aussi sur le point d’entrer dans la Compagnie de Jésus, qui participait à la diffusion de la dévotion depuis déjà plus d’un siècle.

Quant au but premier, principal et essentiel que s'était proposé Mr T. [Terme] en nous réunissant en congrégation, il est exposé d'une manière aussi claire que précise au N° 6 du plan abrégé de l'Institut des Dames de la Retraite ou sœurs de St Régis.

Le voici: “Les moyens que prend la Société pour glorifier le Cœur de Jésus, en travaillant à la sanctification du prochain, sont principalement […]”[39]

Notre bon Père Rigaud est allé faire sa retraite à Lyon, il y est resté trois semaines ; à son retour il nous a dit qu'une grande partie des Constitutions était écrite, et qu'on espère qu'elles seront finies à Pâques, cela nous a causé une bien grande joie, que l'annonce de ce livre de vie, qui doit être pour nous l'expression de la volonté divine, qu'il me tarde de l'avoir et d'en faire la règle de notre conduite afin que par ce moyen nous devenions plus parfaites et des épouses selon le Cœur de Jésus.[40]

Aussi longtemps que l'œuvre des retraites subsistera, des prières ferventes seront adressées au Seigneur pour les besoins de cette Compagnie [de Jésus] qui, toujours prête à voler au secours des âmes, fait partout fleurir la religion de Jésus-Christ. Nous ne cesserons de vous bénir, ô très digne, et de prier Celui qui seul peut dignement récompenser le mérite d'une action si agréable au Cœur de Jésus, et satisfaire pleinement notre vive gratitude.[41]

J’ai été bienheureuse, chère Sœur, et je me suis bien associée à votre joie pour toutes les bonnes nouvelles que vous me donnez de cette chère maison de Tours ; cette nombreuse retraite nous prouve qu’elle progresse dans ses oeuvres de zèle. Que Dieu en soit béni, et que le Cœur de Jésus, que vous avez su attirer à vous, daigne aussi vous envoyer un grand nombre d’âmes pour le faire connaître et aimer.[42]

Paray-le-Monial : lieu privilégié du Cœur de Jésus

Dessin de la statue du Sacré Coeur de la maison de Tours. “Souvenir de la maison de Tours à la bonne Me Payan”.

La Congrégation a depuis 1874 une maison à Paray-le-Monial (fermée en 1989), une ville de France où au XVIIème siècle Jésus a dévoilé les secrets de son Cœur à Marguerite Marie Alacocque. Avec elle, se développe la dévotion, qui passe notamment par la représentation du Sacré Cœur (images, statues…).

C’est lui qui donne la croix et Lui aussi qui nous apprend et nous aide à la porter. J’ai bien la confiance que le Cœur de Jésus, que vous êtes allée prier dans ce lieu béni et vénéré et où il a opéré tant de prodiges de grâces et de bénédictions, consolera un peu le vôtre et par conséquent aussi le mien qui souffre avec vous […] Notre Mère Bertier surtout vous prie et vous engage de son mieux de venir faire votre pèlerinage à la Sainte Vierge, après que vous aurez terminé celui du Sacré-Cœur.[43]

Note : Dans cette lettre, Mère Thérèse fait référence aux maisons de Lyon et de Paray. La Congrégation a été fondée en lien avec le pèlerinage à saint Régis à La Louvesc (Mère Thérèse en parle parfois comme de “la sainte montagne”). La seconde maison a été établie à Lyon en lien avec la volonté de renouveler la dévotion à la Vierge Marie sur la colline de Fourvière. La maison de Paray-le-Monial est quant à elle fondée au moment où la béatification de Marguerite Marie Alacocque donne une nouvelle impulsion à la dévotion au Cœur de Jésus. De la même manière, la maison sur la colline de Montmartre à Paris est construite en lien avec la basilique du Sacré-Cœur qui est en projet.

Nous avons aussi à Lyon une statue du Sacré-Cœur à la Chapelle, et c’est pour toutes et pour chacune une vraie consolation. Nous pouvons donc le prier chez nous, et il nous entendra je l’espère, quoique nous ne fassions pas le pèlerinage de Paray ; car il est le même partout heureusement et il approuve, nous ne pouvons en douter, les raisons que nous avons de garder notre solitude. [44]

J’ai eu des nouvelles de Sablières, et, par conséquent de nos familles, par Mr le Curé qui est venu acheter pour sa paroisse une très belle statue (Notre-Dame de Lourdes) et aussi du Sacré-Cœur de Jésus.[45]

Je vous envoie une image du Sacré-Cœur de Jésus, ainsi que vous le désirez. Je voudrais qu’elle fût plus belle, mais je n’en ai pas d’autres.[46]

J’ai aussi remis la petite image qui a été admirée et appréciée, portant l’emblème du Cœur de Jésus et du Nom de Marie, qu’ils ont très bien compris.[47]

Je vous remercie de la jolie image du Cœur de Jésus, en échange je demanderai à ce Cœur divin de vous faire part de toutes ses richesses.[48]

Similitude de la spiritualité de Marguerite Marie et du Se Livrer de Mère Thérèse

 

 

 

 

Si vous désirez vivre toute pour lui, et arriver à la perfection qu’il désire de vous, il faut faire à son sacré Cœur un entier sacrifice de vous-même et de tout ce qui dépend de vous, sans réserve pour ne plus rien vouloir que par la volonté de cet aimable Cœur, ne rien affectionner que par ses affections, n’agissant que par ses lumières, […]

 

Marguerite Marie Alacoque, lettre du 24 août 1686 à Mère de Soudeilles

le grand moyen d’entrer dans la voie de la perfection et de la sainteté, c’est de se livrer à notre bon Dieu. […]

Se livrer enfin, c’est mourir à tout et à soi-même, ne plus s’occuper du moi que pour le tenir toujours tourné vers Dieu.

Se livrer, c’est […] ne plus chercher de satisfaction propre mais uniquement le bon plaisir divin.

Il faut ajouter que se livrer, c’est aussi cet esprit de détachement qui ne tient à rien, ni pour les personnes, ni pour les choses, ni pour le temps, ni pour les lieux. C’est adhérer à tout, accepter tout, se soumettre à tout.

Mère Thérèse, Se Livrer, 1864



[1] Lettre à son neveu, l’abbé Léon Couderc, 30 juin 1880.

[2] À son neveu l’abbé Léon Couderc [sans date].

[3] Mgr. d’Hulst, fondateur de l’Université catholique de Paris, en 1896.

[4] Les Exercices Spirituels, en présentant Jésus de façon humaine et en invitant à le connaître intimement, orientent les âmes vers le Cœur de Jésus.

Très tôt, on trouve des dévots du Cœur de Jésus dans la Compagnie de Jésus, avant même Marguerite Marie Alacoque : saints Louis de Gonzague et Pierre Canisius, Louis Lallemant… Dans la préface de sa Doctrine spirituelle par le P. Champion, celui-ci résume ainsi une spiritualité qui trouve écho chez Mère Thérèse : “L’esprit d’anéantissement du Fils de Dieu dans l’Incarnation était le modèle d’humilité qu’il se proposait et le Sacré Cœur du Verbe incarné était l’école où il s’instruisait de cette vertu. C’est dans cette école et c’est de ce divin Maître qu’il avait appris cette sublime leçon d’humilité de s’oublier soi-même et de demeurer enseveli dans son néant”.

Un autre auteur connu de la Compagnie qui résonne en Mère Thérèse est le Jacques Nouet (1608-1680). Dans un paragraphe consacré au “moyen d’unir notre cœur à celui de Jésus, et notre amour au sien par une parfaite ressemblance” (dans L’homme d’oraison), il écrit : “il ne faut aimer que Dieu dans la créature, et il ne faut aimer la créature que pour Dieu”.

Un Général de la Compagnie, le P. Vincent Caraffa (1585-1649), a également montré sa dévotion dans les ouvrages de piété qu’il a écrit. Parmi les Jésuites fervents du Cœur de Jésus plus proches de nous, citons le P. Arrupe.

[5] Religieuse mystique de l’Ordre de la Visitation, inspiratrice de la dévotion au Sacré Cœur. La spiritualité développée à partir de ses visions fleurit particulièrement dans la deuxième moitié de la vie de Mère Thérèse, qui prie la Bienheureuse (béatifiée en 1864 et canonisée en 1920). Cf. Lettre à la R. M. Dambuent, 18 octobre 1873.

[6] Souvenirs de Mère Bertha Schmidt (elle a vécu à Lyon avec Mère Thérèse du 4 sept. 1870 au 3 juin 1872), procès diocésain de Lyon.

[7] Par exemple, lettre à Mère Dambuent, 7 juin 1869, pour le mois et la fête ; à Mère Lysie Adam, 29 mai 1862, et à Mademoiselle Pauline Dussol, 7 juin 1857,  pour la fête ; de La Louvesc à Sr Agnès au Plagnal, 14 janv. 1836, et à la T.R. Mère de Larochenégly, de Montpellier, 13 fév. 1864, pour le 1er vendredi du mois.

[8] Sr Agarit, 1887 (Souvenirs écrits).

[9] T.R.M. Marie Aimé Lautier, procès ordinaire de Malines.

[10] Souvenirs de la Mère Pauline Petit déposés au procès de Lyon (1930).

[11] Souvenirs de la Mère Pauline Petit déposés au procès de Lyon (1930). Mère Pauline Petit est entrée en 1850. Entre 1850 et 1867 elle a vécu avec Mère Thérèse « de temps en temps » à Lyon, à La Louvesc et à Montpellier.

[12] À Notre Mère de Larochenégly à Paris, de Lyon, 7 août 1867.

[14] À Mademoiselle Pauline Dussol, 7 juin 1857.

[15] À son neveu l’abbé Couderc, 2 janv. 1876

[16] À la T.R. Mère Marie Aimée Lautier, Lyon, 16 oct. 1881.

[17] À la T.R. Mère Marie Aimée Lautier, Lyon, 17 octobre 1882.

[18] À son frère Jean prêtre, 26 déc. 1861.

[19] À son frère Jean prêtre, 27 déc. 1866.

[20] À son frère Jean prêtre, 27 déc. 1868.

[21] À son frère Jean prêtre, 27 déc. 1869.

[22] À Mère Dambuent, de Montpellier, 8 sept. 1866.

[23] À Mère Félicie Chartier, de Montpellier, 21 mai 1863.

[24] À Mère Davin à Tours, 13 fév. 1870.

[25] À la R. M. Ursule Payan, à Paris, de Lyon, 17 octobre 1867.

[26] À Mère Dambuent, 7 avril 1866.

[27] À Mère Bertier à Tours, 27 déc. 1878.

[28] À Mère Pauline Petit ,15 janvier 1868.

[29] À Mère Chartier, Supérieure à Montpellier, 2 avril 1867.

[30] À Mère Dambuent, 3 août 1865.

[31] À la R. M. Ursule Payan, Assistante générale, à Paris, de Montpellier, 18 novembre 1866.

[32] À la Mère Laure de Lafarge , 5 novembre 1872.

[33] À la Sœur Marguerite Hérique, 21 avril 1867.

[34] À la Mère Petit, 14 avril 1868.

[35] À la R.M . de Fraix, 19 octobre 1881.

[36] À son neveu l’abbé Léon Couderc, 20 fév. 1882.

[37] À son neveu l’abbé Léon Couderc, 28 nov. 1884.

[38] À son neveu prêtre Adrien Rouvier, de Lyon, 12 janv. 1873.

[39] Brouillon de sa lettre à Mgr Bonnel, évêque de Viviers, juillet 1836

[40] Lettre à Sr Agnès, 14 janv. 1836

[41] Lettre au R.P. François Renault, Provincial des Jésuites en France, [déc. 1834]

[42] À la Mère Cécile de Roubin à Tours, 11 novembre 1873.

[43] A Mère de Larochenégly, Assistante Générale, à Paray-le-Monial, 15 juin 1878.

[44] À la Mère Cécile de Roubin à Tours, 11 novembre 1873.

[45] À son neveu l’abbé Rouvier, 23 oct. 1881.

[46] À son neveu l’abbé Couderc, 2 janv. 1876

[47] à Mère Lysie Adam, 28 janv. 1876

[48] À la R. M. Ursule Payan, Supérieure à La Louvesc, de Lyon, 17 octobre 1873